Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

lundi 4 février 2013

Foi et solidarité

Institut de Théologie d'Auvergne
Module : Foi et solidarité.
Première soirée :
Des mots pour partager ce qu’on essaie de vivre au plan de la solidarité.
mardi 11 décembre 2012 de 20 heures à 22 heures à l’ITA., Caroline Bauer – Christian Pian.
Deuxième soirée :
mardi 22 janvier 2013 20 heures à 22 heures à l’ITA., Caroline Bauer – Michel Bonemaison.
Quels aspects de notre foi sont impliqués dans le souci de la solidarité ?
Troisième soirée : sous forme de forum
mardi 5 février 2013 19 heures à 22 heures à l’ITA., Caroline Bauer - Christian Pian.
Pour aller plus loin dans la solidarité en lien avec notre foi sur le terrain.
* * * * *
Quels aspects de notre foi sont impliqués dans le souci de la solidarité ?

1. L’un ou l’autre aspect de la foi :

Puisque nous parlons de l’implication de notre foi dans le souci de la solidarité il me paraît important de m’arrêter d’abord sur une définition de ce que nous appelons la foi. À mon sens il s’agirait d’une adhésion, et il importe de savoir qui donne son adhésion à qui, à quoi et dans quel but.

Nous situant dans un contexte chrétien et en tenant compte de nos racines hébraïques, j’aime souligner que le terme AMEN affirme l’adhésion de tout un peuple à l’un ou l’autre aspect d’une dimension spirituelle, après avoir entendu la proclamation d’un message.

Dans l’histoire d’Israël ce terme FOI est indiqué par une multitude d’expériences et il recouvre des attitudes nombreuses telles que la solidité, la sûreté, la confiance, l’espérance, l’attente, la protection etc. Chacune est une mise en route à la suite d’un message délivré par Dieu, le Dieu d’Israël.
Nous pourrions dire ainsi que la foi exprime une réponse de l’homme quand Dieu l’interpelle, quand Dieu se fait connaître.

Lorsque les auteurs du Nouveau Testament expriment l’adhésion à Jésus le Christ, ils utilisent un mot grec : PISTIS qui selon une évolution linguistique est à la racine du mot foi. Lorsque dans une rencontre personnelle Jésus dit à l’un de ses interlocuteurs « ta foi t’a sauvé » il peut s’agir de deux niveaux différents de la foi.
La personne peut simplement se référer à ce Jésus qui humainement lui paraît aller au-delà de ses espérances,
ou bien, en réalisant comme les évangélistes une lecture post Pascale, la personne peut accéder avec le Ressuscité à une réalité qui vient de Dieu.

Ainsi
la démarche de foi peut être motivée par une adhésion tout humaine, adhésion qui comporte déjà une marche en avant, une sortie de soi qui permet de réaliser un projet plus grand que soi.
La démarche de foi peut aussi être motivée par une adhésion spirituelle qui, elle aussi, comporte une marche en avant, une sortie de soi permettant de réaliser un projet en accord avec celui que nous suivons, avec celui en qui nous adhérons et qui, en l’occurrence, est Dieu.

Ce préambule me permet de souligner que, quel que soit le niveau d’adhésion, la solidarité vécue sera effectivement de qualité puisqu’il s’agira toujours d’une sortie de nous-mêmes au service d’autrui. Ainsi, autrui peut être simplement l’autre, ou bien, il peut devenir le frère ; mais notre solidarité représente le même service, engage autant d’amour, nécessite autant de respect à l’égard de l’autre.

Puisque nous ne sommes ni les seuls ni les premiers à vivre la solidarité au service de l’autre, mais que nous pouvons la vivre en référence à notre foi chrétienne, je propose que dans un premier temps nous allions voir du côté de Jésus.
- Comment Jésus vit-il la solidarité avec les humains ses frères qui, par lui, sont les fils du Père ?
- Ensuite nous pourrions simplement nous remémorer quelques noms parmi ceux de nos contemporains qui ont marqué notre époque par la qualité de leur solidarité.

2. Jésus ou, selon les évangiles, la solidarité à la manière de Dieu:

Notre lecture de quelques passages d’Évangile a pour but de bien faire ressortir le thème d’aujourd’hui « quels aspects de notre foi sont impliqués dans le souci de la solidarité ? ».

A – Le bon Samaritain: Luc 10,15 – 37.

La parabole racontée par Jésus a pour objet le comportement proposé « afin d’hériter de la vie éternelle ». Ce comportement est un des éléments de notre adhésion à Jésus: il met en oeuvre chez nous le sens de la fraternité qui, vécue, est vraiment une solidarité, solidarité motivée par notre regard vers Dieu.

La parabole met en scène des hommes que seul définit leur rôle social ou religieux : des brigands, un aubergiste qui sont chez eux, sur cette route ; un prêtre et un lévite de passage, et un Samaritain en voyage. Aux yeux du judaïsme ce Samaritain est un hérétique, réellement un étranger. Il est vraiment à l’opposé du prêtre et du lévite qui, eux, sont deux honorables serviteurs du Temple. Remarquons bien, avec insistance, que l’être humain à demi mort n’a strictement aucune identité sociale ; on ignore même son origine. Ainsi pour Jésus celui dont on aura à se faire le prochain est en vérité Monsieur tout le monde.

Chacun des passants voit le blessé. Chacun a un mobile personnel à son attitude profonde. Dépassant tous les tabous, l’un d’eux ressent une compassion viscérale (« il le vit et fut saisi de pitié ») qui le conduit à se mettre au service du blessé : – il s’approche – il pense ses plaies – il y verse de l’huile et du vin – puis il le charge sur sa propre monture – le conduit dans une auberge – et prend soin de lui. Mais ce n’est pas tout, il le confie à un autre, l’invitant à être solidaire avec lui.

C’est de cette manière que notre homme, Samaritain, obéit à la tradition juive qui valorise l’amour d’autrui en le mettant au niveau de l’amour de Dieu. La question posée à Jésus, celle qui a suscité cette parabole était : « Que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? » Par son attitude le Samaritain hérite de la plénitude de la vie, fruit d’une foi active, adhésion à la volonté divine.

Pour souligner « la bonté », l’aspect de notre foi mis en valeur par cette parabole, retenons le dialogue final entre Jésus et le docteur de la loi :
– Qui a été le prochain de l’homme tombé entre les mains des bandits ?
– Celui qui a fait preuve de bonté envers lui.
– Va et, toi aussi, fait de même.

B – Matthieu 25, 31 – 46. « Le jugement dernier ».

Au début de l’Évangile de Matthieu (7,12) Jésus conclut le Sermon sur la montagne par ce qu’il est coutume d’appeler la « règle d’or » :
« ... Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi, voilà ce que dit toute l’Ecriture : la loi et les prophètes. »

Ainsi la foi chrétienne est un agir qui se résume dans l’amour du prochain ; ceux qui ont aimé sont appelés les « bénis de mon Père ». À l’égard de qui ces bénis ont-ils réellement exercé leur amour ? Écoutons l’énumération des actes de charité déjà vécus dans le monde juif comme une imitation méritoire de la conduite de Dieu : il faut nourrir l’affamé parce que Dieu s’y emploie, prenant fait et cause pour le malheureux ; se désolidariser de ce dernier, c’est désavouer la cause de Dieu.
D’où ce beau commentaire juif ancien sur Isaï 58 : « Si vous avez nourri les pauvres, dit le Seigneur, je vous compterai comme si c’était à moi que vous l’aviez fait. »

Ainsi en Matthieu 25,35 – 36 :
j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade et vous m’avez visité ;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !

Pour conclure: «… selon l’évangéliste, on sert le pauvre pour lui-même, dans une obéissance sans calcul aux préceptes de l’amour du prochain. Dans ce désintéressement se révèle alors une convergence dans l’amour que portent aux pauvres et le disciple et le Christ : ce dernier s’en trouve pleinement honoré, honoré aussi le Dieu qui a pris fait et cause pour les malheureux. » (Claude Tassin )

C – La prière sacerdotale : Jean 17,I – 26.

Un autre aspect de la solidarité est la prière. Le chrétien, à l’imitation de Jésus, va porter vers le Père l’intention de ceux qu’il veut servir. C’est ainsi que nous pouvons entendre avec profit la manière dont Jésus parle au Père au sujet de ses amis:
« Père… Je prie pour eux… ceux que tu m’as donnés : ils sont à toi,… et je trouve ma gloire en eux. … Père Saint, ... garde mes disciples dans la fidélité à ton nom… pour qu’ils soient un… Je parle ainsi… pour qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés.… Je demande que tu les gardes du Mauvais.… Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. … Et pour eux je me consacre moi-même, afin qu’il soient, eux aussi, consacrés par la vérité. »

Le premier aspect de l’attitude de Jésus est son total désintéressement: il confie les disciples au Père. De ce lien seul il tire sa propre gloire. Il fait de ses disciples les destinataires de sa joie, il souhaite qu’ils en soient comblés. Il prie pour qu’ils soient gardés du Mauvais et qu’il soient consacrés dans la parole de vérité. Dans cette prière toute l’attention de Jésus est au seul service de ses disciples. À nous de vivre le même désintéressement.

D – les sommaires des actes

2,42 « ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. »
20,7 « le premier jour de la semaine, alors que nous étions réunis pour rompre le pain, Paul ... adressait la parole aux frères ... »
Pour un chrétien la solidarité à l’égard des hommes ne peut que s’enraciner dans l’assiduité à trois niveaux : la fréquentation des Ecritures, le sens et la pratique de la communauté fraternelle, ainsi que la rencontre régulière avec Dieu en Christ.

E – le Christ qui remet debout dans les rencontres

Jésus lui-même est un modèle d’assiduité, de constance. Pratiquement toutes ses rencontres, il les vit avec ses disciples pour les éduquer; toutes ses rencontres en solidarité avec les humains sont précédées de sa prière au Père. Ces hommes et ces femmes au-devant de qui il va ou qu’il accueille, quels que soient leurs difficultés, leurs limites, leur handicap, et il les respecte au point qu’ils repartent différents de ce qu’ils étaient à leur arrivée. Grâce à lui ils sont désormais des hommes debout.

Ainsi pour nous, une foi qui agit met en œuvre ce qui permet à chacun de ceux que nous rencontrons de repartir dans la vie.

F – la perspective des cieux nouveaux et d’une terre nouvelle

Ce renouvellement de l’un et l’autre, vécu grâce à la solidarité ancrée dans la foi en Christ Jésus, est le prémisse du renouvellement annoncé dans l’Apocalypse 21 : « la Jérusalem nouvelle descend du ciel… – Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle… – Et celui qui siégeait sur le trône dit : Voici, je fais toute chose nouvelle. »

Ainsi dans la continuité de l’histoire d’Israël, notre espérance est ancrée sur la solidité la continuité, la confiance, l’attente, la certitude.

3. Quelques figures contemporaines:

Parmi la foule de tous ceux qui sont attentifs à l’autre comme un frère nous pouvons évoquer les figures bien connues auxquelles ont l’habitude de se référer bien des émules :
•    Monsieur Vincent au service des malades et des isolés
•    Jean-Marie Vianney et son accueil des pêcheurs
•    Jean Rodin et son amour pour les petits et les déshérités
•    Dom Camara et sa lutte contre les injustices sociales
•    Guy Gilbert éducateur et compagnon des loubards
•    l’Abbé Pierre et les chiffonniers d’Emmaüs
•    tant d’autres fondateurs et tous les membres des mouvements d’ATD quart monde de l’ACAT, du service des migrants, des maraudes, etc.

Jean Rodin écrivait : « La spiritualité de Saint-Vincent-de-Paul est faite de ses oraisons d’abord, mais aussi de tout ce que le Christ  lui a murmuré à travers les misères approchées. Le père de Foucault a connu le cœur du Christ en le fréquentant non seulement dans le silence du tabernacle et aussi dans les soins donnés aux touaregs malades. »
Ou encore pour parler de l’urgence de la solidarité : « Notre Seigneur a parlé d’une hôtellerie comme complément, et non comme suppression de la sollicitude du Samaritain. »
Ou bien insistant sur l’universalité de l’appel : « Le Seigneur n’a pas jugé essentiel de savoir quelle était la profession de ce Samaritain, s’il allait régulièrement au Temple, quelles étaient ses opinions politiques, quelle était sa situation matrimoniale… Ce Samaritain a su voir son frère souffrant au bord de la route, ce Samaritain a su prendre le temps de le soigner et de le conduire à l’hôtellerie. Le Seigneur n’a pas fixé d’autres conditions pour ce cas exemplaire. »

Et pour terminer je citerai avec humour le même Jean Rodin : « il n’est pas interdit à la charité d’être intelligente. »
Michel Bonemaison 22 janvier 2013.