Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

jeudi 26 mai 2011

La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes



« La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes »



‘Bonjour’ chers amis !
 
Vous m’avez invité à donner une « parole » en cette « journée mondiale de l’Afrique » sur le thème « La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes ». J’y suis très sensible et vous en remercie. Je ne puis aborder que le domaine de la culture, d’ailleurs si vous m’avez invité c’est au vu de mes sept années vécues ici en tant que directeur du « Musée Africain de Lyon » fleuron des cultures africaines en Europe depuis 1861.

Aujourd’hui il est de bon ton de souligner la « pluralité des cultures », mais à ne s’en tenir qu’à la diversité il y a risque de n’en apercevoir que des éléments seconds, que le superficiel et ainsi de tomber dans le folklore. L’exemple du « masque » en est des plus flagrants : qui est conscient de ce qu’il est « le passeur » d’une sagesse, de cette sagesse qui permet l’équilibre, l’harmonie de toute une société ? Les sociétés humaines en Afrique ont une multitude de moyens pour transmettre ainsi leur quête d’unité sociale ;  « la palabre » en est un autre exemple. Mais que saisit-on de la palabre africaine en occident ? A l’extrême limite, pour un béotien, le masque est un morceau de bois sculpté, la palabre est un temps de bavardage, voire de verbiage ! Qu’en est-il de la perception du domaine spirituel que l’un et l’autre transmettent ?

La connaissance de l’Afrique et de ses qualités a été apportée en Occident d’une part grâce à ses propres fils qui partaient « découvrir », tel l’explorateur René Caillé, ou « conquérir » ce que fit le général Jean-Baptiste Marchand que je cite car nous avons de très belles pièces dans ce musée qui relatent à son sujet la rencontre « Afrique - France » en l’occurrence lors de son passage en Côte d’Ivoire ; des hommes comme le Père Francis Aupiais ont apporté ‘autrement’ dans la « reconnaissance » des cultures africaines … la liste pourrait être longue de ces rencontres fructueuses.

Mais il nous faut aussi et surtout dire que aux mêmes époques les Africains étaient en Occident, amenés de force, considérés comme objets pour les mercantiles. Cette traite est à dénoncer, elle est une blessure que l’histoire doit retenir et condamner. Toutefois ce que je tiens à souligner et qui est essentiel pour nous aujourd’hui, c’est que la présence en Occident de ces êtres, hommes et femmes fragilisés par les déracinements, a suscité un intérêt et un respect croissant ; leurs danses, leurs chants, leurs sculptures, leurs peintures reçoivent aujourd’hui chez nous un écho indéniable. Toutes ces expressions de leur vitalité sont acquises au patrimoine mondial. Belle revanche n’est-ce pas ?

A l’heure actuelle c’est à vous, chers amis, de relever un autre défi ! De votre propre chef vous avez franchi les océans et vous partagez la vie des occidentaux en toute légalité tandis que, grâce aux média, le continent africain tout entier est proposé à l’appréciation du monde entier : guerres fratricides, corruption, misères de toutes sortes, famines, sécheresses, inondations, mais aussi, heureusement, constructions nationales, conférences internationales, avancées remarquables dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la prise de parole en politique etc.

Forts de cela vôtre rôle est, me semble-t-il, en particulier de monnayer la valeur de chacun de ces évènements pour que l’Occident entende l’Afrique, et la comprenne comme des Nations qui vivent, qui se construisent. Vous avez souvent un très haut niveau intellectuel reconnu par vos pairs en Occident, et d’autre part vous vivez, dans vos entrailles, de vos cultures originelles, soyez attentifs à nous offrir une lecture vraie de l’Afrique en ce qu’elle se construit aujourd’hui. Sachez être exigeants dans la transmission et la lecture des informations, ne vous laissez pas piéger par les mots des langues européennes car souvent ils ne sont pas corrects et estropient la pensée et la réalité africaines, héritage à revoir : masque, palabre, brousse, ethnie, race sont des mots piégés comme tant d’autres, parlons plutôt de peuples et de nations en avenir.

Pour terminer je me réfère à un article paru dans Le Monde signé par le chorégraphe franco-ivoirien M Alphonse TIEROU et je vous en livre ma réaction :

« Dans l’article remarquable sur « l’institution des masques » il est question d’un enseignement transmis par les masques eux-mêmes. Afin de pouvoir accréditer pour cet enseignement une dimension universelle, la dimension qui est la sienne, ce qui est dénoncé par Alphonse TIEROU au sujet du masque doit être dénoncé à l’encontre de toute dégradation, voire de toute destruction des institutions et de leurs manifestations sociales ou populaires, quelque soit l’origine des déprédateurs.

« Souligner avec Alphonse TIEROU le fait que des dignitaires et des personnalités de premier plan du monde politique et économique sont issus de « l’institution du masque » est à mes yeux une remarque  primordiale, point qui peut être essentiel dans la mise en œuvre d’une réelle évolution déjà fortement engagée en Afrique, en chacune des Nations contemporaines. Que des « porteurs de masques », véritables notables d’institutions ethniques arrivent à un haut niveau politique ou économique ou dans des services comme l’enseignement ou la santé, permet de nourrir l’espoir d’une évolution ouverte et salutaire. Il est à souhaiter que ces hommes et ces femmes sachent dépasser irrémédiablement les limites de leur propre ethnie, la considérant comme déjà un peuple en capacité de croissance ; en effet la croissance signifie non pas un développement exclusif de la culture ethnique mais une sortie pour chacun de sa propre culture  et pour tous un accueil commun de toutes les cultures locales en misant sur les lieux favorisant une harmonie renouvelée. Pourquoi l’instruction et la culture de ces serviteurs de l’Etat ne leur permet-elle pas ce genre de construction ?

« La réponse n’est pas aisée, et pourtant il faut une analyse exhaustive, cela est urgent pour la survie de notre continent africain. Elle n’est pas aisée car complexe, vu l’implication de l’histoire au niveau mondial, dans le temps et dans l’espace. Elle n’est pas aisée au vu aussi des bassesses courantes quand « service » signifie « égocentrisme » tant chez les grands de ce continent que ceux du dehors. Et là, je dénonce avec énergie car j’aime l’Afrique qui m’a tant donné et dont les Peuples savent si bien donner à qui sait les respecter.



Michel Bonemaison
Ancien directeur du Musée Africain
CA de la Société des Africanistes



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire