Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

lundi 12 décembre 2011

DEUX EVENEMENTS MAJEURS AUTOUR DE L’AFRIQUE !




 Société des Africanistes
Musée du quai Branly - 222 rue de l'Université - 75007 Paris - France 
Pour nous contacter : email. africanistes@yahoo.fr - tel. 01 56617117 - www.africanistes.org

Le Colloque de la Société des Africanistes

La Société des Africanistes a organisé les 17 et 18 novembre 2011 un colloque international au Musée du Quai Branly « Quels regards scientifiques sur l’Afrique depuis les indépendances ? »
Ce colloque voulait faire le bilan des recherches et des connaissances accumulées sur l’Afrique postcoloniale, en prenant comme point d’appui les conséquences des bouleversements institutionnels, académiques, politiques sur les thématiques, les méthodes et les paradigmes gouvernant la recherche africaniste.

Objet du colloque
Le colloque « Quels regards scientifiques sur l’Afrique depuis les Indépendances ? » a eu pour objectif d’établir un état des lieux de la recherche, à la fois, africaniste et africaine, toutes disciplines confondues, depuis les Indépendances. En effet, les études, menées dans le cadre des politiques coloniales, in situ ou à distance, par des acteurs exogènes, se sont libérées des orientations coloniales pour s’émanciper à plusieurs niveaux après les Indépendances. D’autres chercheurs de pays non colonisateurs (des scientifiques russes, suédois, japonais, américains par exemple) se font connaître et ont entrepris des recherches dégagées de ces orientations premières. Des chercheurs africains ont également investi différents domaines disciplinaires, et dont la réputation est aujourd’hui internationale. Dans ce mouvement, de nouveaux champs de recherche ont émergé, tandis que d’autres ont été abandonnés, d’autres encore se sont développés.
Si de nouveaux paradigmes sont nés tandis que d’autres, plus anciens, furent remis en cause (ethnicité, anthropologie biologique ou physique), on peut toutefois se demander quels sont ceux actuellement en vigueur dans les recherches sur le continent africain, quels sont leurs poids et leurs influences, en particulier sur les sociétés étudiées ?
Plus largement quels sont les dynamismes nationaux en vigueur dans le cadre des études africanistes et aussi africaines ? Comment les expliquer ? Dans ce cadre, quels rôles jouent les contextes institutionnels animant et entourant la recherche (appel d’offre, financements) ?
L’objet du colloque ne peut être de viser une critique des situations dans les différents domaines évoqués, mais d’établir des tendances significatives qui ont gouvernées les études africanistes au cours des 50 dernières années. Il s’agit donc de considérer ce grand mouvement de mutation des études africanistes depuis les Indépendances, à la fois dans ses dynamiques exogènes et endogènes. À cet égard, ce colloque international voudrait s’inscrire dans un contexte historique : celui du cinquantenaire marquant l’accession de nombreux pays africains à l’Indépendance. Mais c’est aussi l’occasion pour la Société des Africaniste de rendre visible la contribution des chercheurs regroupés en son sein à la connaissance de l’Afrique et de ses sociétés à travers l’analyse de leurs travaux effectués aux cours des cinq dernières décennies en vue d’identifier des sujets de recherche pertinents en ce début du XXIe siècle pour de nouveaux enjeux d’une Afrique en profonde transformation sur le plan économique, social et politique, grâce à une approche pluridisciplinaire et la confrontation des regards d’horizons différents des chercheurs africanistes et africains.

La Société des Africanistes

-       fondée dès 1931, a maintenant 80 ans. Son siège situé au Quai Branly permet à ses membres « africanistes » de côtoyer les membres des sociétés savantes s’intéressant à d’autres continents, ce qui représente un énorme avantage.
-       Elle édite deux fois par an son « journal des africanistes » par les soins duquel paraîtront sous peu les actes du colloque.

Ma réception du colloque :

La qualité de chacune des prestations a été réellement de haut niveau ; la pluridisciplinarité admirablement vécue a porté le fruit escompté, et des plus appréciables, celui de la complémentarité. Il revenait à Jean-Pierre Chrétien de donner la leçon finale, la clarté de sa synthèse a soulevé l’admiration de tous les participants, Africains comme Occidentaux. Je soulignerais, à sa suite, que c’est une analyse très positive que nous avons eu du continent africain.
Trois fois un regret a été énoncé, repris aussi à son compte par JPC. Le fait que aucun exposé n’ait été prévu pour développer le domaine des « religions », même si plusieurs orateurs ont eu à s’y référer de manière explicite.
Il me paraît tout à fait digne d’intérêt que l’on ait su regretter cette impasse sur la dimension « spirituelle » des peuples et des cultures du continent africain.

Autre innovation : la remise du Prix de thèse.

Un grand projet a vu le jour, celui d’honorer régulièrement par un prix, une thèse de doctorat en lien avec l’Afrique. Pour ce faire, nous étions reçus dans les locaux de l’Organisation Internationale de la Francophonie, invités par Monsieur Abdou Diouf ‘Secrétaire général de l’OIF’ et Monsieur Elisée Coulibaly ‘Président de la Société des Africanistes’. La remise du Prix de thèse était confiée à Madame Françoise Héritier et à Monsieur Yves Coppens professeurs honoraires au collège de France.

* * *

LE SAINT PERE EN AFRIQUE

Le mot « espérance » est le mot clef, le fil conducteur qui a uni tous les discours de Benoît XVI lors de son voyage au Bénin, du 18 au 20 novembre.

-      l'affirmation selon laquelle « l’Afrique est comme un immense poumon spirituel pour une humanité en crise de foi et d’espérance »,
-      le passage en revue de toutes les richesses qui, au-delà des richesses matérielles dont nombre de personnes cherchent à profiter, doivent pouvoir « sortir les peuples du continent de leurs difficultés », faire d’eux « les acteurs » de ce nouveau millénaire.

Ces richesses, mises en avant par Benoît XVI durant son voyage et dans son exhortation « AFRICAE MUNUS », sont « des richesses humaines et spirituelles, d’amour pour la vie, de créativité et de culture », que peuvent rendre encore plus précieuses l’écoute de l’Evangile et, donc, « l’engagement de l’Afrique pour le Seigneur Jésus Christ ».


-      A chaque étape de son voyage, le pape revient sur ce mot « espérance », le « crie avec force » aux chefs et aux responsables : « Ne privez pas vos peuples de l’espérance ! », leur dit-il, tout en les encourageant à « la sagesse, la responsabilité, la bonne gouvernance ».
-      L’espérance dont parle l’Eglise est celle qui « anime l’engagement sur le terrain et la rend noble, l'ouvrant à un horizon spirituel et éternel ».
-      Et « ceux qui aiment tant l’Afrique doivent avoir le courage aujourd’hui de dire qu’elle peut être un continent de l'espérance ».

Michel Bonemaison 1 décembre 2011


Dimanche 20 novembre 2011 LA CROIX

De Cotonou, avec le pape

« Moi, le non-croyant, je suis ici un extra-terrestre ! ». Cette confidence d’un jeune expatrié français à Cotonou en dit long, paradoxalement, sur l’espérance de Benoît XVI pour l’Afrique et son Église. Terre croyante par excellence, le continent noir voit d’un mauvais œil les progrès de la sécularisation et ses nouveaux modes de vie. Mais, si le pape l’encourage à la résistance, il l’appelle également à se défaire des peurs multiples engendrées par cette immersion permanente dans les univers occultes, et à lutter contre les tentations syncrétistes.

Ainsi se dessine le défi d’une théologie catholique proprement africaine : comment exprimer la foi de façon structurée sur une terre majoritairement non alphabétisée, profondément irriguée de courants animistes, livrée à des réflexes de survie face à l’absence d’éducation, de soins, de revenus, vidée de ses émigrés, et pourtant douée d’une créativité trop souvent insoupçonnée ? Les très nombreux groupes d’origine pentecôtiste ont compris les bénéfices qu’ils pouvaient tirer de cette situation.

Appelée par le pape à relever ces défis, l’Eglise africaine, désormais locale et de toutes les couleurs, n’est pas pour autant lavée, par l’eau de son baptême, de ses taches originelles. Les foules ferventes témoignent aussi de fragilités.

A Ouidah, dans la cour du séminaire Saint-Gall, lieu réputé de formation sacerdotale pour toute l’Afrique de l’Ouest, Mgr Pascal N’Koué, évêque de Natitingou, responsable béninois de la formation sacerdotale, n’a pas mâché ses mots : « L’Esprit saint souffle abondamment dans notre pays. D’aucuns pensent que c’est parce que les jeunes peu doués y trouvent une sécurité d’emploi. ». « Cette situation, a-t-il poursuivi, recèle encore bien des fragilités inquiétantes. » Et il évoque une « crise », liée « à la soif des positionnements juteux. » D’où la nécessité de « reprendre en main la formation des prêtres et des consacrés », et de veiller, comme le dit « Africae munus », à « la bonne gestion et à la rectitude morale. »
Rome connaît ces fragilités. Au Bénin, pays pacifique, quasiment démocratique, où coexistent religions et croyances traditionnelles, choisi pour cela comme symbole pour le lancement de l’exhortation apostolique, Benoît XVI a proposé un contrat de confiance fondé sur l’espérance. Reste à l’honorer.

Posté par Frédéric Mounier à 11:03

lundi 7 novembre 2011

Secret des hommes secret des dieux

Pour prolonger la méditation proposée par le film « des hommes et des dieux »

Henry QUINSON
Préface de Xavier BEAUVOIS

Secret des hommes secret des dieux.

L’aventure spirituelle du film
Des hommes et des dieux

Presses de la renaissance
Paris 2011
295 pages.


En premier lieu  ce sont de chaleureux remerciements que je tiens à adresser à Henry Quinson pour son ouvrage, remarquable témoignage du cheminement spirituel de toute une équipe d’amis, artistes et techniciens, soudés par une découverte progressive celle d’une communauté d’hommes de Dieu amoureux des Hommes.

Lire ce livre remet le spectateur du film dans les mêmes sentiments suscités par la projection mais avec un déplacement, celui désiré (je pense) par l’auteur. « Conseiller monastique du film des hommes et des dieux, Henry Quinson retrace cette étonnante et rare aventure humaine et spirituelle » que fut celle de toute l’équipe réunie pour le tournage.

Quand je dis « déplacement » je me réfère à l’aventure non plus des moines mais des acteurs et des techniciens dont Henry Quinson nous retrace avec simplicité la découverte, l’accueil, le travail de mise en œuvre, peut-être même le travail sur soi de chacun de ceux qui apprennent à incarner l’un des moines ou accompagner ces artistes. La réussite est indéniable. Aucun n’a du ressortir indemne de cette expérience, pas plus que nous les spectateurs du film. A chacun d’eux toute ma gratitude.

Que de thèmes merveilleusement abordés et dans la plus humble simplicité, rejoignant par là la vie même des moines trappistes. J’en livre l’un ou l’autre à notre intelligence, voire à notre méditation car ils nous renvoient évidemment tous à ce que nous avons vu si bien traité à l’écran :

Trois parties à ce livre :
la « genèse » du film qui exprime une vitalité étonnante,
la mise en acte appelée « incarnation » permettant de suivre pas à pas la lente et exaltante élaboration du projet cinématographique
et enfin, autre terme très évocateur en guise d’envoi, « effusion » d’où je ne peux qu’extraire les références de quelques unes de mes réflexions, que j’ose vous livrer, vous offrir.

Mystique de l’amour (pages 219-224)

C’est aux sœurs cisterciennes de l’Etoile Notre Dame à Parakou [Bénin] arrivées en 1960 et aux frères du Kokubu (implantés vers 1970) que je pense en lisant « Vous recevrez les hôtes comme le Christ car c’est en eux qu’il est adoré ». Accueil vécu avec amour offrant un havre de paix aux missionnaires de l’immense territoire de la préfecture apostolique 80.000 km². Accueil aux groupes très diversifiés accompagnés par ces mêmes pionniers de la foi chrétienne … et de ces groupes jaillissait un dynamisme tout jeune pour l’Eglise naissante.

    Quant à la référence au Caravage elle me remet en lien avec les artistes amis qui gravitent autour du « Musée Africain » de Lyon et dont la sensibilité apporte beaucoup dans la mise en œuvre du message que se doit un tel lieu. Comment mettre en lien les traditions africaines et la nouveauté qu’apporte Jésus ? « La foi chrétienne n’est pas une idée abstraite et froide – le dieu des philosophes et de la raison raisonnante -, mais une relation d’amour personnelle et intime ».

La revanche des dieux (225-230)

    « Beaucoup de médias parleront d’un film au-delà des religions. … Les faux dieux agonisent en ce troisième millénaire … Mais cette nuée, si elle s’impose comme dernière image du montage définitif, n’est-ce pas la revanche de la divinité biblique, qui décidément ne veut pas mourir ? » Les idéologies se succèdent, l’une d’elle née du matérialisme athée n’a vécu que 17 ans au Bénin, et je n’en connais aucune qui ait survécu autant que le message biblique, soit des millénaires, seulement mais déjà 2000 ans pour la foi chrétienne.

    Jean XXIII invitait à reconnaître les « signes des temps », à discerner ce qui était signe de renouveau dans le monde d’aujourd’hui. En tout homme n’y a-t-il pas une quête de l’au-delà, de l’altérité, voire de l’Autre Divin ? En marge des institutions, mieux, revivifiant ces dernières, que de mouvements s’épanouissent dans une forme ou l’autre criant leur besoin spirituel. Avec saint Justin découvrons ces « semences du Verbe » qui ne demandent qu’à s’épanouir dans le monde d’aujourd’hui.

Car « si les moines marchent en présence de Dieu et finissent par disparaître en lui, dans la nuée de sa gloire » … « Nous serons tous ensemble enlevés sur des nuées à la rencontre du Seigneur, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur ».

Rumeurs du monde (231-236)
Cannes – onisés (237-244)

    Oui, le rythme de la vie des moines est essentiel et, merci mon Dieu, il nous est permis d’en bénéficier, d’aller chez eux pour le consommer. Quelle merveilleuse thérapie au milieu des rumeurs du monde. Le film offre aussi à sa manière ce havre de silence par la justesse du ton redonné à bon escient par les temps de prière et les psaumes et hymnes. Remercions les acteurs pour la qualité de leur interprétation.

    « Ce  pays et l’Islam, pour moi … c’est un corps et une âme » du testament de Christian de CHERGE. Il me semble que de tels écrits, repris par des livres, des films, des émissions télévisées sont de première nécessité dans la société d’aujourd’hui, c’est la seule et unique manière d’exorciser les peurs ridicules qui engendrent la haine et la guerre. A ce sujet je signale que « l’Institut de science et théologie des religions de Marseille » a consacré de nombreux articles sur la théologie de Christian de CHERGE dans sa revue théologique et pastorale sur le dialogue interreligieux « Chemins de dialogue », et qu’une équipe pluridisciplinaire continue, poursuit son étude des textes de Christian pour une édition déjà en cours dont le remarquable ouvrage : Christian de CHERGE, une théologie de l’espérance Bayard 2011. 253 pages.

Communion (245-251)

    Non pas « fusion » entre les acteurs mais « Communion » ..., pas plus « connivence » mais « Communion ». « Les penseurs chrétiens préfèrent le mot ‘communion’ qui exprime une unité dans le respect des personnes ». Le mot est vrai car c’est bien cette communion entre les acteurs qui favorise le spirituel si présent dans le film. Favoriser cette dimension spirituelle, première dans la vie des moines de Tibhirine, demandait des choix et pour reprendre les mots de Dom Etienne Baudry « Vous avez su, quand nécessaire, travestir la réalité des détails historiques pour être au plus proche de la vérité essentielle, qui est spirituelle ». Ou pour citer Emmanuel Audrain « Avec peu de mots, ces chants bien choisis et ces visages habités, les frères revivent ! »

Exception prometteuse (256-263)

    « Des hommes et des dieux offrent … une vraie catéchèse : le spectateur assiste à la quête de Dieu chez les moines et découvre leur amour des hommes ; il comprend peu à peu que les deux sont liés, que le Dieu des moines est Amour, amour fraternel sans exclusive ».

    Et cette citation de Xavier Beauvois : « Les moines sont des hommes libres, égaux entre eux et avec leurs voisins … ils ne font aucun prosélytisme. Plus j’avançais dans le tournage, plus je voyais des parallèles avec la situation de la France. Chez nous, on est de moins en moins libres, de moins en moins égaux et de moins en moins frères … C’était intéressant de mettre la société en perspective à travers le regard de ces moines ».

    La certitude de l’auteur que « revisiter Tibhirine ne consiste pas à regretter le passé, mais à préparer l’avenir » est valorisée par le supérieur de la communauté de Midelt au Maroc assurant que « L’essentiel du message que nos frères ont à dire au monde est là : ‘’Une amitié tissée au fil des années avec tout un peuple ne disparaît pas quand le risque d’en perdre la vie se profile à l’horizon’’ : C’est tout l’Evangile, et l’Evangile vécu jusqu’au bout … Nous vivons ici la même amitié avec ceux qui nous entourent, et le film nous encourage à aller encore plus loin ».


Michel Bonemaison
1er novembre 2011
Le Cendre 63270
* * * * *

Qu’est ce qui mène le monde ?

Nous nous interrogeons sans cesse au reçu des nouvelles. Je vous livre un échantillon de ce qui se dit chaque jour autour de moi :
Le monde a l’air de tourner à l’envers !
L’économie, la politique tout a l’air désaxé et dans le monde entier !
Que de scandales !
Que d’injustices légalisées !
Et les salaires des responsables des hautes instances ?
La corruption est en croissance, tout comme la pauvreté !
Les pays pauvres ne s’en sortiront jamais !
Et l’Afrique, un continent sans aucun avenir !
Je ne parle pas de la peur devant la montée des fondamentalismes …

Joseph Ratzinger
Benoît XVI

Jésus de Nazareth
du baptême dans le Jourdain à la Transfiguration


Edition française sous la direction de Mgr François Duthel

Traduit de l’allemand par Dieter Hornig,
Marie-Ange Roy et Dominique Tassel.
Flammarion janvier 201O.  427 pages.

Pour ma part, titillé par les mêmes réalités, je constate que nous sommes incités, sinon invités, à redonner sa place à la dimension spirituelle dans notre monde.

Mes trente années vécues au Bénin, mes trois années en Argentine, me permettent de dire que j’ai vu vivre et grandir des peuples pleins d’espérance. Je suis témoin de l’énergie que les hommes peuvent développer pour vivre et construire leur société, leur nation et lui assurer un avenir. Mes sept années au service du Musée Africain m’ont permis de rencontrer des gens de partout et de toutes générations animés du respect de l’autre et en quête de Plus qu’eux-mêmes ; de véritables humains !


Ces quelques jours de retraite spirituelle dans un monastère trappiste m’ont permis entre autre, tout en recentrant mon espérance par et en Jésus le Christ, de relire l’ouvrage ci-contre dont je vous cite un de ces passages prophétiques qui ne peuvent que retenir l’attention.



Ch. 7 Le message des paraboles.
2. Trois grands récits en paraboles chez Luc.
La Parabole du bon Samaritain Luc 10,25-37. 
Citation pages 222-224.

« Une chose est claire : une nouvelle universalité se fait jour, fondée sur le fait, que de l’intérieur, je me fais déjà le frère de tous ceux que je rencontre et qui ont besoin de mon aide.

« Cette parabole est d’une actualité patente. Si nous la transposons à l’échelle de la société internationale, nous voyons que nous sommes concernés pat les peuples d’Afrique que l’on dépouille et que l’on pille. Nous voyons aussi à quel point ils sont notre « prochain » : notre mode de vie, notre histoire, dans lesquels nous sommes nous aussi impliqués, ont concouru et concourent encore à leur pillage. Et surtout, nous avons par là même blessé leur âme. Au lieu de leur faire don de Dieu, du Dieu qui, en Jésus Christ, nous est proche, au lieu d’accepter et de parachever tout ce que leurs propres traditions ont de précieux et de grand, nous leur avons apporté le cynisme d’un monde sans Dieu, où la seule chose qui importe, c’est le pouvoir et le profit. Nous avons détruit l’échelle des valeurs morales de sorte que la corruption et la volonté de pouvoir sans scrupule finissent par s’imposer comme des évidences. Et l’Afrique n’est pas un cas isolé.

« Bien sûr, il nous faut apporter une aide matérielle et réviser notre propre mode de vie. Mais nous donnerons toujours si peu si nous ne donnons que des choses matérielles. … »


Notre Dame des neiges
Michel Bonemaison
17-22 octobre 2011

lundi 17 octobre 2011

La symbolique du vêtement dans la Bible - A.Cras


Alban CRAS
La symbolique du vêtement dans la Bible
Pour une théologie du vêtement
Collection « Lire la Bible » n° 172
Les éditions du Cerf Paris 2011
165 pages

Je viens de lire avec intérêt ce petit ouvrage sur la symbolique du vêtement dans la Bible. Avant d’en présenter très brièvement le contenu je confie à ces lignes le petit clin d’œil qu’il suscite en moi pour notre « aujourd’hui ».
Le port de signe religieux distinctif est de retour dans nos sociétés laïques ! Chez des catho, la croix ; pour le jeune clergé, le col romain, le vêtement noir ou gris, voire pour d’autres la soutane. Chez certaines autres communautés on se distingue par le foulard ou le voile intégral.
La lecture d’un petit livre comme celui-ci peut être salutaire pour pacifier notre regard et aider notre jugement à se situer autrement … dans une dynamique théologique. Il peut aider à entrer en dialogue.

Que propose cet ouvrage de Alban CRAS ?

Une lecture des livres bibliques de « la nudité des premiers parents » à la pureté des élus « lavés dans le sang de l’Agneau ». Autrement dit, c’est un balayage de tous les livres bibliques de la Genèse à l’Apocalypse, à travers le thème de la « symbolique du vêtement ».
Le projet de l’auteur est de susciter la rencontre avec le message divin dont l’évolution du vêtement marque la capacité d’adaptation pédagogique au service d’un peuple en marche. Au cœur de la réflexion « le vêtement de Jésus » pages 79-83, pour finalement avec Paul proposer au disciple de « revêtir le Christ », ce qui amènera à une dernière réflexion sur la tenue du chrétien.

Ce genre de travail permet à chacun de trouver son approche, dans sa société, dans son sens de l’homme, pour sa pensée, selon son désir de rigueur morale et, en suivant le projet de l’auteur essayer d’intégrer une lecture théologique, celle qui donne sens à la présence et à l’action de Dieu. Bonne lecture.

Le Cendre ce 13 octobre 2011
Michel Bonemaison sma

mardi 6 septembre 2011

Chrétiens au pays du Vaudou

Chrétiens au pays du Vaudou

Père Dominique Bresson

Juin 2004 -  A compte d’auteur.

dombresson@free.fr





    Lorsque l’on parle de la rencontre des religions il est important de bien savoir situer chacune des communautés en question. Se demander où se situe sa propre démarche spirituelle me paraît être le premier pas à ne pas négliger. Mais comment se mettre en route ?

    Le missionnaire chrétien qui met en œuvre la mission reçue du Christ « … je vous ai destinés à aller porter du fruit, et un fruit qui demeure » (Jean 15,16.) est invité à rencontrer l’autre avec respect. Nous retrouvons cet aspect dans le témoignage de Dominique Bresson. Celui qui va vers l’autre est aussi invité à se laisser rencontrer, simplement, humblement. L’apprentissage de la langue, l’ouverture aux coutumes en sont les étapes exigeantes mais combien enrichissantes.

    Le « courant » ne passe pas avec tous, il apparaît même des rejets catégoriques ; là, prudence et patience sont les clefs de la sagesse et du respect de chacun. Le Vaudou que rencontre Dominique Bresson est des plus délicats à fréquenter.

Et lorsque le courant passe, le cheminement revêt autant de particularités que d’êtres humains en route. C’est alors que le disciple de Jésus peut prendre tout son temps pour s’émerveiller et rendre grâces. Progressivement des hommes et des femmes deviennent communauté sur le chemin de Jésus. De nouvelles exigences pour le missionnaire, parfois aussi des risques graves apparaissent, les nouveaux amis de Jésus sont en danger, ils risquent leur vie s’ils quittent le Vaudou (voir le récit d’Anagonou page 55 et suivantes).

Beaucoup de temps donné à la formation des responsables de communauté, à la formation à la Parole de Dieu, au discernement dans la vie quotidienne de la présence du Dieu d’Amour révélé en Jésus-Christ, ainsi que les interpellations de tout ministère au sein d’une communauté, voilà ce que nous propose Dominique par sa lecture de ses années de missions au Sud Bénin, essentiellement dans cette belle région d’Alladah berceau du monde Fon, du peuple du Danhomé.

Michel Bonemaison 28 août 2011

mardi 30 août 2011

Jésus de Nazareth

Joseph Ratzinger
Benoît XVI

 
Jésus de Nazareth
2. De l’entrée de Jérusalem à la Résurrection
Editions du ROCHER
Groupe Parole et Silence 2011
349 pages. 22€.




« Dans le geste des mains qui bénissent s’exprime la relation durable de Jésus avec ses disciples, avec le monde. Dans le fait de s’en aller il vient pour nous élever au-dessus de nous-mêmes et ouvrir le monde à Dieu. Pour cela les disciples ont pu se réjouir, quand de Béthanie ils sont retournés chez eux.
Dans la foi nous savons que Jésus, en bénissant, tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne. »
4° de jaquette

Je viens de lire avec bonheur le deuxième tome de l’auteur sur Jésus de Nazareth. A mon avis il est avant tout le témoignage de quelqu’un qui vit intimement avec ce Jésus dont il parle avec chaleur. Que de pages invitent à la méditation, à la contemplation, à un regard d’amour ! C’est aussi l’œuvre de quelqu’un qui a étudié, et qui livre son savoir de façon simple, dans le langage du quotidien. On trouve à la fois la rigueur du scientifique et l’attention du pasteur qui veut être exact et accessible.

Une succession de 9 chapitres nous met en route avec Jésus de Nazareth depuis l’entrée à Jérusalem à la Résurrection d’entre les morts. Interpellé par ces lignes, je n’ai pris la peine de noter qu’à partir du procès de Jésus et je n’en livre que quelques passages presque au hasard tant la richesse inciterait à tout transmettre ; prenez-le de ma part comme une invitation à la lecture.

Jésus devant le Sanhédrin … page 210… « Maintenant s’abattent sur Jésus, qui a prédit sa venue dans la gloire, les outrages brutaux de ceux qui se savent les plus forts et qui lui font sentir leur pouvoir et tout leur mépris. Celui dont ils avaient eu peur, peu de jours auparavant encore, est maintenant entre leurs mains. L’ignoble conformisme d’âmes faibles se sent fort pour agresser celui qui semble dès lors  seulement impuissance.
Ils ne se rendent pas compte que, justement en le tournant en dérision et en le frappant, ils accomplissent à la lettre, en Jésus le destin du Serviteur de Dieu : humiliation et exaltation s’entremêlent d’une manière mystérieuse. C’est justement parce qu’il est frappé, qu’il est le Fils de l’homme, qu’il vient de Dieu dans la nuée ténébreuse et qu’il établit le Royaume du Fils de l’homme, le Règne de la bienveillance humaine qui vient de Dieu. ‘’Dorénavant, vous verrez …’’ avait dit Jésus, selon Matthieu (26,64), en un paradoxe irritant. Dorénavant – quelque chose de nouveau commence. Tout au long de l’histoire, les hommes regardent le visage déformé de Jésus et reconnaissent précisément en lui la gloire de Dieu. »

Il me semble opportun de souligner combien ces lignes mettent en évidence le thème de la « solidarité » auquel nos contemporains sont si sensibles et j’oserai souhaiter, en glosant, que tout au long de l’histoire, les hommes, en regardant le visage déformé de leurs contemporains, puissent reconnaître le visage déformé de Jésus et reconnaissent alors en lui aussi la gloire de Dieu.

Jésus devant Pilate …page 213-4 … « En Marc, dans le contexte de l’amnistie pascale (Barrabas ou Jésus), le cercle des accusateurs semble plus large : voici qu’apparaît l’ochlos qui opte pour la relaxe de Barrabas. Tout d’abord, « ochlos » veut simplement dire une quantité importante de personnes, la « masse ». Bien souvent le mot a un accent négatif dans le sens de « plèbe ». En tout cas, pour ce mot, ce n’est pas « le peuple » des Juifs qui est désigné comme tel. A l’occasion de l’amnistie pascale (que en réalité, nous ne connaissons pas par d’autres sources mais dont il n’y a pas de raison de douter), le peuple – comme cela était d’usage pour d’autres amnisties – a le droit de faire une proposition manifestée par « acclamation » : en ce cas l’acclamation du peuple a un caractère juridique. En ce qui concerne cette « masse », il s’agit en fait des défenseurs de Barrabas qui se sont mobilisés pour l’amnistie ; en tant que rebelle d’une révolte contre le pouvoir romain, il pouvait naturellement compter sur un certain nombre de sympathisants. Les partisans de Barrabas étaient donc là, la « masse », tandis que ceux qui croyaient en Jésus, apeurés restaient cachés ; c’est ainsi que la voix du peuple sur qui le droit romain comptait était représentée de manière unilatérale. En Marc donc, à côté des « Juifs », c’est-à-dire les cercles sacerdotaux qui font autorité, entre en jeu effectivement l’ochlos, le groupe des partisans de Barrabas, mais pas le peuple juif comme tel. »

Cette mise au point sur la participation de la « masse » comme étant formée par les amis de Barrabas me paraît de grande importance sous la plume de Benoît XVI. Déjà Jean XXIII, remodelant la prière du vendredi saint, invitait les catholiques à un vrai respect pour le peuple Juif. Benoît XVI, ce pape du XXI° siècle accrédite ainsi la longue et patiente marche à la rencontre mutuelle entre Chrétiens et juifs. Une nouvelle étape de découverte mutuelle est en route « à l’encontre de l’antijudaïsme destructeur » que nous avons pu connaître.

Les deux types de témoignage de la Résurrection … pages 282 – 306.

Raffaello, Trasfigurazione, Pinacoteca Vaticana, Musei Vaticani
Arrêtons-nous maintenant à chacun des témoignages sur la Résurrection dans le Nouveau Testament. En les examinant, nous constaterons avant tout qu’il existe deux types différents de témoignage, que nous pouvons qualifier de tradition sous forme de profession et de tradition sous forme de narration.

La tradition sous forme de profession : … page 284 … « Et Paul, qui souligne toujours très fortement son témoignage personnel sur le Ressuscité et son apostolat reçu directement du Seigneur, insiste ici avec une grande vigueur sur la fidélité littérale dans la transmission de ce qu’il a reçu, il insiste sur la tradition commune de l’Eglise depuis les débuts.  … De ce lien avec la tradition venue des débuts, dérivent aussi bien le caractère universel obligé que l’uniformité de la foi. ‘‘Bref, eux ou moi, voilà ce que nous proclamons, Et voilà ce que vous avez cru’’  (1 Cor 15,11). En son centre, la foi est une, jusque dans sa formulation littérale même – et elle relie entre eux tous les chrétiens. »

La tradition sous forme de narration : … page 296 … « Aucun des évangélistes ne décrit la Résurrection de Jésus elle-même : c’est un processus qui, pour nous, ne peut être illustré et qui, de par sa nature, échappe à l’expérience humaine. » …

« La tradition sous forme de narration parle de rencontres avec le Ressuscité et de ce qu’il a dit en ces circonstances ; la tradition sous forme de profession de foi ne conserve que les faits les plus importants qui appartiennent à la confirmation de la foi : sous cet aspect, nous pourrons encore une fois décrire la différence essentielle entre les deux types de tradition. De là ressortent ensuite les différences concrètes. »

J’apprécie que soit analysée de cette manière le thème de la Résurrection ; cela permet à chacun la liberté de rester au niveau qui lui convient et il peut en même temps cheminer intellectuellement voire spirituellement, dans le respect des décisions de foi avec ceux qui adhèrent au salut en Jésus-Christ.

298 …. Dans la tradition sous forme de profession, seuls des hommes sont nommés comme témoins, tandis que dans la tradition sous forme de narration les femmes ont un rôle décisif, elles ont même la prééminence par rapport aux hommes. Cela peut venir du fait que, dans la tradition juive ….
    Les récits, à l’inverse, ne se sentent pas liés par cette structure juridique, mais ils communiquent l’ampleur de la Résurrection. …

Raffaello Sanzio - Gesù risorto
La très belle page de l’auteur sur « le rôle des femmes dans l’annonce » de la Résurrection, permettant d’en « communiquer l’ampleur », invite à nous référer à ce rôle aujourd’hui vécu par tant de mamans et d’épouses, voire de consacrées au service de la catéchèse en Occident, et directement dans des services de la Parole et de la Solidarité sous tant de cieux et à toutes les époques. Implication et disponibilité alliées à la connaissance et à la pédagogie de la Parole disent un réel renouvellement du vécu au quotidien, dans le monde et dans les communautés chrétiennes, pour l’annonce de Jésus le Christ Ressuscité.

Suivent les autres lieux de différences : Les apparitions de Jésus à Paul, - Les apparitions de Jésus dans les Evangiles. Puis en trois pages quelques mises au point sur « la nature de la Résurrection et sa signification historique. » La Résurrection « inaugure une nouvelle dimension, … la dimension eschatologique. »

Pour conclure, je ne peux que reprendre le dernier paragraphe de l’ouvrage qui souligne la joie d’être disciple du Christ : « Dans la foi nous savons que Jésus, en bénissant, tient ses mains étendues sur nous. Voilà la raison permanente de la joie chrétienne ».

Si vous prenez le temps de la lecture de ce Jésus de Nazareth, je vous souhaite d’y trouver pour le moins tout le bonheur que j’y ai trouvé.


Michel Bonemaison
15 août 2011.

jeudi 26 mai 2011

La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes



« La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes »



‘Bonjour’ chers amis !
 
Vous m’avez invité à donner une « parole » en cette « journée mondiale de l’Afrique » sur le thème « La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes ». J’y suis très sensible et vous en remercie. Je ne puis aborder que le domaine de la culture, d’ailleurs si vous m’avez invité c’est au vu de mes sept années vécues ici en tant que directeur du « Musée Africain de Lyon » fleuron des cultures africaines en Europe depuis 1861.

Aujourd’hui il est de bon ton de souligner la « pluralité des cultures », mais à ne s’en tenir qu’à la diversité il y a risque de n’en apercevoir que des éléments seconds, que le superficiel et ainsi de tomber dans le folklore. L’exemple du « masque » en est des plus flagrants : qui est conscient de ce qu’il est « le passeur » d’une sagesse, de cette sagesse qui permet l’équilibre, l’harmonie de toute une société ? Les sociétés humaines en Afrique ont une multitude de moyens pour transmettre ainsi leur quête d’unité sociale ;  « la palabre » en est un autre exemple. Mais que saisit-on de la palabre africaine en occident ? A l’extrême limite, pour un béotien, le masque est un morceau de bois sculpté, la palabre est un temps de bavardage, voire de verbiage ! Qu’en est-il de la perception du domaine spirituel que l’un et l’autre transmettent ?

La connaissance de l’Afrique et de ses qualités a été apportée en Occident d’une part grâce à ses propres fils qui partaient « découvrir », tel l’explorateur René Caillé, ou « conquérir » ce que fit le général Jean-Baptiste Marchand que je cite car nous avons de très belles pièces dans ce musée qui relatent à son sujet la rencontre « Afrique - France » en l’occurrence lors de son passage en Côte d’Ivoire ; des hommes comme le Père Francis Aupiais ont apporté ‘autrement’ dans la « reconnaissance » des cultures africaines … la liste pourrait être longue de ces rencontres fructueuses.

Mais il nous faut aussi et surtout dire que aux mêmes époques les Africains étaient en Occident, amenés de force, considérés comme objets pour les mercantiles. Cette traite est à dénoncer, elle est une blessure que l’histoire doit retenir et condamner. Toutefois ce que je tiens à souligner et qui est essentiel pour nous aujourd’hui, c’est que la présence en Occident de ces êtres, hommes et femmes fragilisés par les déracinements, a suscité un intérêt et un respect croissant ; leurs danses, leurs chants, leurs sculptures, leurs peintures reçoivent aujourd’hui chez nous un écho indéniable. Toutes ces expressions de leur vitalité sont acquises au patrimoine mondial. Belle revanche n’est-ce pas ?

A l’heure actuelle c’est à vous, chers amis, de relever un autre défi ! De votre propre chef vous avez franchi les océans et vous partagez la vie des occidentaux en toute légalité tandis que, grâce aux média, le continent africain tout entier est proposé à l’appréciation du monde entier : guerres fratricides, corruption, misères de toutes sortes, famines, sécheresses, inondations, mais aussi, heureusement, constructions nationales, conférences internationales, avancées remarquables dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la prise de parole en politique etc.

Forts de cela vôtre rôle est, me semble-t-il, en particulier de monnayer la valeur de chacun de ces évènements pour que l’Occident entende l’Afrique, et la comprenne comme des Nations qui vivent, qui se construisent. Vous avez souvent un très haut niveau intellectuel reconnu par vos pairs en Occident, et d’autre part vous vivez, dans vos entrailles, de vos cultures originelles, soyez attentifs à nous offrir une lecture vraie de l’Afrique en ce qu’elle se construit aujourd’hui. Sachez être exigeants dans la transmission et la lecture des informations, ne vous laissez pas piéger par les mots des langues européennes car souvent ils ne sont pas corrects et estropient la pensée et la réalité africaines, héritage à revoir : masque, palabre, brousse, ethnie, race sont des mots piégés comme tant d’autres, parlons plutôt de peuples et de nations en avenir.

Pour terminer je me réfère à un article paru dans Le Monde signé par le chorégraphe franco-ivoirien M Alphonse TIEROU et je vous en livre ma réaction :

« Dans l’article remarquable sur « l’institution des masques » il est question d’un enseignement transmis par les masques eux-mêmes. Afin de pouvoir accréditer pour cet enseignement une dimension universelle, la dimension qui est la sienne, ce qui est dénoncé par Alphonse TIEROU au sujet du masque doit être dénoncé à l’encontre de toute dégradation, voire de toute destruction des institutions et de leurs manifestations sociales ou populaires, quelque soit l’origine des déprédateurs.

« Souligner avec Alphonse TIEROU le fait que des dignitaires et des personnalités de premier plan du monde politique et économique sont issus de « l’institution du masque » est à mes yeux une remarque  primordiale, point qui peut être essentiel dans la mise en œuvre d’une réelle évolution déjà fortement engagée en Afrique, en chacune des Nations contemporaines. Que des « porteurs de masques », véritables notables d’institutions ethniques arrivent à un haut niveau politique ou économique ou dans des services comme l’enseignement ou la santé, permet de nourrir l’espoir d’une évolution ouverte et salutaire. Il est à souhaiter que ces hommes et ces femmes sachent dépasser irrémédiablement les limites de leur propre ethnie, la considérant comme déjà un peuple en capacité de croissance ; en effet la croissance signifie non pas un développement exclusif de la culture ethnique mais une sortie pour chacun de sa propre culture  et pour tous un accueil commun de toutes les cultures locales en misant sur les lieux favorisant une harmonie renouvelée. Pourquoi l’instruction et la culture de ces serviteurs de l’Etat ne leur permet-elle pas ce genre de construction ?

« La réponse n’est pas aisée, et pourtant il faut une analyse exhaustive, cela est urgent pour la survie de notre continent africain. Elle n’est pas aisée car complexe, vu l’implication de l’histoire au niveau mondial, dans le temps et dans l’espace. Elle n’est pas aisée au vu aussi des bassesses courantes quand « service » signifie « égocentrisme » tant chez les grands de ce continent que ceux du dehors. Et là, je dénonce avec énergie car j’aime l’Afrique qui m’a tant donné et dont les Peuples savent si bien donner à qui sait les respecter.



Michel Bonemaison
Ancien directeur du Musée Africain
CA de la Société des Africanistes



mercredi 18 mai 2011

Le Musée Africain

Consacrée à Notre Dame de Fourvière le 8 décembre 1856 par un vicaire apostolique des Missions Etrangères de Paris (Monseigneur de Marion Brésillac) et un prêtre diocésain (Augustin Planque), la société des Missions Africaines de Lyon devient très rapidement un institut missionnaire international au service de l’Afrique. L’histoire va faire de cet institut le fondateur de l’Eglise en Afrique Occidentale. A l’heure de son 150° anniversaire, son « musée africain » abrite plusieurs collections de grande couleur.

Le Musée est presque né avec l’institut. Dès le début le Père Planque invitait les missionnaires à lui faire parvenir des objets qui pourraient faire connaître et aimer les populations chez qui ils résidaient. C’est donc une « collection de famille » qui est offerte aujourd’hui à notre regard, à notre méditation. Il y a bien des manières de se laisser interpeller par le contenu de ces vitrines situées 150 cours Gambetta à Lyon. Chaque objet peut être le support à une multitude de discours, que ce soit au niveau de l’art, de l’ethnologie, de l’anthropologie. A travers eux on apprend à rencontrer des cultures et l’on peut se laisser inviter à découvrir l’univers spirituel des Africains.

Lyon peut s’enorgueillir d’avoir des collections si bien mises en valeur au sein de sa cité. Ce patrimoine nous parle aussi de ces hommes et de ces femmes qui au long des années sont venus de toute la France, de l’Europe, pour recevoir une formation qui leur permette de partir à la rencontre des populations africaines. Parmi tous ces missionnaires, citons le Père Chabert qui a conçu le bâtiment actuel en donnant au Musée sa place centrale. Citons encore deux hommes que les Africains ont élus pour les représenter à la chambre des députés, le Père Francis Aupiais anthropologue de très haut niveau qui s’est épuisé à défendre la cause des Africains, et le Père Jacques Bertho directeur de l’enseignement catholique pour l’Afrique Occidentale. On doit au premier un grand nombre de statuettes fort intéressantes et au second une collection de photographies qui a permis aux scénographes de réaliser une merveilleuse présentation de thèmes proposés par les vitrines.

Etre invité à vivre quelques années la charge de direction du « Musée Africain » est une véritable grâce, celle de dire notre amour de l’Afrique à ceux qui l’aiment déjà pour de multiples raisons, mais aussi à ceux qui par le goût des rencontres ou le désir de se cultiver viennent passer quelques heures dans ce « sanctuaire de la vie africaine ». On ne ressort pas indemne d’une visite qu’elle soit libre ou guidée.

Sur 750 m², il présente à ses nouveaux visiteurs 2126 pièces (138 vitrines) en exposition permanente.

Au musée est adjointe la Bibliothèque Africaine, centre de documentation spécialisée sur l’Afrique, riche de 2500 volumes.

Michel Bonemaison, sma
Décembre 2004.

Comment s’est constitué le Musée Africain

Parler du Musée Africain c’est dire une partie importante du patrimoine africain lyonnais – et lyonnais depuis sa naissance. En effet à Sainte-Foy-Lès-Lyon, puis au quartier de la Guillotière s’implante le tout jeune institut missionnaire fondé en 1856 par un évêque, Mgr Melchior de Marion Brésillac, et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. L’histoire du Musée, c’est l’histoire d’hommes convaincus. A travers leur action se construit ce joyau patrimonial. Evoquons donc la figure de plusieurs de ces hommes tournés vers l’Afrique, avec l’originalité de leur regard sur ce continent.

De Melchior à Augustin

A l’époque, on appréhendait l’Afrique autrement. L’Occidental avait tout à découvrir lorsqu’il débarquait dans le Golfe de Guinée – partie ouest du continent, aussi appelée golfe du Bénin ou encore côte des Esclaves, selon l’angle par lequel il était abordé ! De  son côté, lorsqu’il fonde son institut missionnaire pour l’Afrique, de Marion Brésillac a déjà une grande expérience de la mission. Il vient de vivre en Inde douze années très riches en enseignement dans sa rencontre avec la société des castes. Il conseille à ses prêtres de ne plus être ni Français, ni Italien, ni Espagnol, mais de vivre une sortie de soi pour se faire tout à la culture des peuples qu’ils approchent.

« Il suggère à la Propagande de lui confier la juridiction du royaume du Dahomey, célèbre pour le commerce d’esclaves et les sacrifices humains. C’est un royaume qui présente des défis évidents et revêt l’avantage d’être authentiquement africain … On lui confie, au contraire, le vicariat apostolique de Sierra Leone regardé comme une mission plus sûre … » Cette terre ne sera pourtant guère hospitalière à la première équipe ; la fièvre jaune les emporte tous très rapidement entre le 2 et le 28 juin 1859, année de leur arrivée.

Le fondateur n’a pas le temps matériel d’initier une rencontre originale avec l’Afrique. Authentifié par Rome, le jeune père Planque (33 ans) prend la relève. Confiant en ses compétences, de Marion Brésillac lui avait écrit en cette année 1859 : « Si la mer et ses écueils voulaient que cette année fût la dernière, vous seriez là pour que l’œuvre ne fit pas naufrage ». Augustin Planque continue donc à appeler et à former à la vie missionnaire. Il collecte de l’argent pour envoyer et soutenir ceux qui rejoignent l’Afrique. Il assure par courrier le suivi de ses missionnaires ; c’est une mine pour saisir ce qui est vécu et ce qui se construit lentement dans la rencontre et des cultures et des religions. Il veut des hommes trempés, aguerris !

Les relations épistolaires revêtent une grande importance pour le Planque. Il a le souci de savoir, de connaître pour pouvoir dire et montrer l’Afrique aux Lyonnais, aux Occidentaux ; il désire les inviter à aller plus loin que la simple curiosité ! Il recommande à ses missionnaires d’ « envoyer toute espèce de choses du Dahomey : rien ne sera inutile, c’est avec les objets les plus simples qu’on se fait des amis … Accompagnez chaque chose de quelques mots de notice ». Cette lettre du 20 février 1861 est le texte fondateur du Musée Africain. Le 19 mai, il insiste à nouveau : « N’oubliez pas de nous envoyer par la première occasion, une collection de choses de votre nouvelle patrie. Nous voulons avoir dans notre musée tous vos dieux d’abord, des armes, des outils, des ustensiles de ménage ; en un mot rien ne doit y manquer ». Le musée peut se glorifier de répondre à ce souhait : répartis en trois étages, 2126 objets en exposition permanente occupent 140 vitrines, avec une exposition temporaire régulière qui peut couvrir 750 m².


L’appel aux femmes

Le 17 octobre 1861, le Père Planque s’adresse au Père Lafitte qui vient d’arriver au Dahomey. Pendant son séjour au grand séminaire de Lyon, Irénée Lafitte a montré beaucoup d’intérêt pour ce que l’on appelle les sciences humaines. Augustin Planque lui écrit donc : « Je vous rappelle toutes vos promesses de détails nombreux sur le Dahomey et sur l’envoi de curiosités du pays ; vous savez que toute chose, même la plus commune, provenant du Dahomey, est une curiosité pour nos musées ». Il a eu ainsi la satisfaction de repérer, parmi les aspirants, des confrères sachant apprécier la culture africaine et comprenant la nécessité de communiquer.

Toute cette démarche des pionniers à la rencontre « des peuples les plus abandonnés de l’Afrique » engendre des attitudes et des prises de conscience. Amenés à dire les besoins élémentaires leur permet de mieux vivre leur mission. Il nous faut des religieuses pour s’occuper des femmes, des jeunes filles, écrivent des hommes de terrain. Augustin Planque déploie toute son énergie pour répondre à leur attente. Voilà pourquoi, le 28 janvier 1868, s’embarquent les trois premières religieuses qui vont rejoindre la mission du Père Philibert Courdioux (1838 – 1898). Leur congrégation est basée à Lyon, ce sont les franciscaines de Couzon. « Immédiatement elles se mettent à l’œuvre, c’est-à-dire aux visites des cases, au rachat des petits esclaves, à l’organisation de l’école ». Et Augustin Planque d’ajouter : « Elles vont donner une grande vie aux premiers éléments de la mission, en relevant la femme et en permettant de fonder la véritable famille chrétienne par des mariages entre fidèles ».

Nombreux sont les objets qui en exposition permanente, disent la place de la femme dans la société africaine. Certains sont très évocateurs du respect conféré à la maternité. Fécondité et puissance participent de pair à la transmission et à la croissance de la vie dans l’équilibre harmonieux demandé par les ancêtres. Quant à ces petits esclaves qu’elles sont amenées à racheter, ils mentionnent cet immonde et intolérable commerce de l’être humain. Les missionnaires s’y sont attaqués, déployant une énergie inimaginable ; les écrits de l’un ou de l’autre relatent comment il s’embusquait pour détourner les colonnes d’esclaves qui étaient amenés vers les bateaux et leur faire manquer la date de l’embarcation.

Le 5 janvier 1861, trois prêtres s’embarquent à Toulon, les pères Borghero, Fernandez et Edde. Louis Edde meurt le 9 avril en cours de route, à Freetown, il a 24 ans. Ses compagnons débarquent le 18 avril sur la plage de Ouidah, au Dahomey. Francisco Fernandez meurt le 30 novembre 1863, à l’âge de 28 ans. Francesco Borghero est un érudit ; sa notoriété et sa pugnacité lui permettent de rencontrer le roi d’Abomey, en toute solennité, tout en imposant son refus de certains rites qu’il juge barbares. Dans son journal, écrit en français, il a des pages d’une terrible précision sur les sacrifices humains. En résonance voilà qui ramène à une lecture des chapiteaux du Moyen-âge : la main posée sur les têtes coupées des ennemis, pour dire l’appropriation par le vainqueur de toutes les qualités et pouvoir du vaincu. C’est ainsi que des gravures et des photos représentent des trônes de rois reposant sur les crânes de leurs ennemis vaincus.



Rencontre par la langue

Les peuples africains transmettent aussi des us et des coutumes qui interpellent par leur sagesse. C’est ainsi que, toujours au Musée Africain, on peut admirer un trône dont les quatre pieds sculptés représentent deux couples signifiant la transmission de la vie ; le roi veille ainsi à ce que fécondité et puissance soient en harmonie avec la vie que les ancêtres lèguent aux vivants.

Dès le début, les missionnaires s’efforcent d’apprendre les langues de ceux vers qui ils vont. Il leur faut écouter, noter, décrypter ; heureusement il y a souvent, parmi leurs proches, des Africains ayant eu des contacts avec des commerçants occidentaux, particulièrement de puis la fin du XVe siècle, avec les Portugais qui avaient établi nombre de comptoirs sur cette côte occidentale. Profitant de ces commodités, plusieurs s’attèlent à l’étude systématique ou du vocabulaire ou des formes littéraires, créant lexiques, dictionnaires ou grammaires. C’est le cas de Père Joseph Joulord, originaire d’Angers (1871 – 1951).

Connaître la langue de ses hôtes permet une rencontre des plus enrichissantes. Les missionnaires désirent partager leur savoir, c’est pourquoi ils se mettent à construire des écoles et consacrent, pour certains d’entre eux, beaucoup de temps à l’enseignement. Ainsi en est-il de Père Auguste Moreau (1847 – 1886). Natif de Combre, dans le diocèse de Lyon, il arrive à Elmina en Côte de l’Or (Ghana) le 18 mai 1880. Voici un extrait de sa première lettre : « Nous avons visité les anciens chefs et les principaux habitants de la ville. Nous avons été accueillis partout. Tout le monde savait déjà que nous devions venir et on demande quand nous devons commencer notre école. Hier le chef Accra Cokou nous a demandé si nous enseignerions le français ; il veut nous envoyer quelques-uns de ses enfants pour l’apprendre. A lui tout seul il peut fournir pour faire une grande classe : il a peut-être cinquante enfants … »

Haut niveau

L’effort vécu par les missionnaires est motivé par le souci qui les anime de donner la Bonne Nouvelle. Ils prennent les moyens de le faire en se faisant les plus proches possibles des populations. L’école d’une part, et la connaissance de la langue d’autre part, deviennent les deux moyens de se faire comprendre. La catéchèse en langue locale suscite chez Père Noël Baudin le besoin d’écrire un catéchisme en yoruba ; bien d’autres suivront – celui-là est consultable à la Bibliothèque du Musée. Parler la langue facilite l’écoute, met en confiance et permet des échanges de très haut niveau. Les Africains aiment initier à leurs démarches religieuses ceux qui les respectent. Le missionnaire catholique est ainsi impliqué dans une relation empreinte de délicatesse à l’égard des autres religions, même si parfois il doit parler selon les convictions de sa foi ! Nombreux sont les objets du Musée qui sont une référence au culte, aux rites, aux cérémonies religieuses traditionnelles.

Pour terminer, il convient de mentionner Père Jean-Marie Chabert (1874 – 1933) : en 1923, pendant son mandat de supérieur général, il conçoit l’espace du Musée dans le bâtiment actuel. A Père René Faurite (1941 – 2002) nous devons l’effort de modernisation qui aboutit à la muséographie offerte aujourd’hui. Puisse le Musée Africain rester dans la dynamique de ces géants de la rencontre avec l’Afrique !
Michel Bonemaison, sma


Michel Bonemaison est le directeur du Musée Africain de Lyon

Page 16-17

Ce que représente le Musée Africain

Désirer connaître la provenance des objets qui constituent les collections du Musée Africain est tout à fait légitime. On peut parfois regretter certains amalgames ; en effet, il arrive que des visiteurs condamnent, à son propos, « le pillage du tiers-monde » sans connaître la provenance réelle des collections. Fidèles au vœu d’Augustin Planque, les pères ont rapporté, ou envoyé, ce que leur offraient les Africains, ou ce qu’eux-mêmes achetaient. Pour sa part, Francis Aupiais a commandé de nombreux objets pour les expositions et les tournées qu’il a effectuées en France au début du XXe siècle ; aujourd’hui, bien placés parmi les joyaux du musée, ils illustrent les années vingt. Tout cela constitue les bases de recherches qui ne peuvent que se développer et qui conditionnent l’avenir du musée.

Comprendre de l’intérieur

Plus que des notices scientifiques, les écrits des missionnaires sont les récits de leur vie quotidienne. Ces petits cahiers d’écoliers sont de véritables archives pour un historien ; la relation des us et coutumes est écrite à la manière des ethnographes. Cette somme de documentation favorise le travail de la mission et est éditée dès janvier 1902 sous la forme d’un bulletin : L’Écho des Missions Africaines de Lyon. Le récit de tous ces contacts permet aujourd’hui aux jeunes chercheurs d’informer scientifiquement sur les objets. Ce fut le cas pour l’exposition, maintenant itinérante, sur les poids akan.

À propos de ce que représentent les objets présentés au musée, les remarques de Noël Baudin sma (1844 – 1887) sont précieuses. Il écrit à Augustin Planque : « Dans les premières années de mon séjour à la côte des Esclaves, le grand féticheur étant mort, on avait mis hors de sa case tous ses fétiches […] ; je demandais aux Noirs pourquoi ils traitaient ainsi leurs dieux, ils m’affirmèrent que les dieux n’y étaient plus ; alors toutes les statues et autres symboles des dieux, désormais inutiles, avaient été jetés hors de la case ». D’autres observations permettent de conclure que les objets, sortis de leur contexte, social, culturel, cultuel, sont totalement inefficaces. Pour répondre à la hantise de certains de nos contemporains, ils ne sont pas de ces « entités pleines de charges fastes ou néfastes » dont nous aurions à nous protéger. En créant ce musée, Augustin Planque voulait faire comprendre les peuples africains, dans le contexte et la mentalité de son époque - ce que nous continuons aujourd’hui avec d’autres instruments de compréhension et une autre mentalité.
La Société des Missions Africaines se sait investie de la mission de partager ce patrimoine africain et lyonnais. Pour beaucoup d’Occidentaux, l’histoire de l’art est la lucarne la plus accessible. Ce qu’ils entrevoient peut – pour qui le désire – amener à la rencontre de cultures et de cultes porteurs de valeurs et de contre-valeurs. Les accueillir objectivement, sans préjugé aucun, en brisant les clichés, ne serait-ce pas une occasion d’enrichissement ? La fréquentation des expositions organisées par le musée ne pourrait-elle pas susciter une rencontre bilatérale, une prise de conscience de ce que notre histoire commune avec le continent africain nous invite à construire maintenant ?
Au niveau de la recherche

Afin de répondre au mieux à toutes ces questions la société des Missions Africaines a mis en place, en 1990, une association loi 1901 pour gérer le musée. « Cette association a pour but le soutien de l’action du usée Africain de Lyon pour la promotion de l’art et de la culture des peuples de l’Afrique noire, et toute action se rapportant à cet objet, notamment sa gestion permanente » (article 2 : objet). A ce jour, ce sont près de cinquante adhérents qui participent, chacun à sa manière et selon ses compétences, à la vie du musée, apportant sa quote-part à l’activité d’une des quatre commissions : communication, pédagogie, évènements, conservation. Un comité scientifique reste vigilant pour l’ensemble des activités.
    Les visiteurs peuvent, sur rendez-vous, bénéficier de visites guidées. Autour de 10.000 passages annuels se répartissent entre enfants en découverte scolaire, jeunes – surtout avec un projet thématique ou au niveau de l’histoire de l’art – et adultes, seuls ou en groupes guidés. Il faut aussi mentionner les évènements portes ouvertes qui attirent le tiers des visiteurs par leur gratuité : pour les journées d’amitiés de la SMA, les journées du patrimoine, la nuit des musées.
    Le contact avec les universitaires et les grandes écoles fournit l’occasion, pour le directeur, de donner des causeries dans le domaine de l’anthropologie africaine, ce qui entraîne la participation de nombreux jeunes à des stages au sein du musée. Si ces étudiants amènent aussi de nombreux visiteurs parmi leurs amis, certains fidélisent leur participation à la vie du musée en devenant membres de l’Association de Gestion ; c’est une arrivée de nouvelles et jeunes compétences dont on ne peut que se réjouir. Signalons enfin la possibilité donnée aux chercheurs et lecteurs d’utiliser le fonds de bibliothèque spécialisé sur l’Afrique.
    En 1975, la Société des Missions Africaines réalise la rénovation dans la perspective d’« un musée post-colonial, scientifique et culturel » apte à proposer « la découverte de la richesse des cultures africaines à des publics variés ». Il est alors passé de la dénomination « Musée des Missions Africaines » à celle de « Musée Africain ». Cela s’est réalisé sous l’influence des directeurs du musée et des conseils provinciaux de la société durant les années 1979 -2000. Cette orientation trouve actuellement un large écho dans l’intérêt des spécialistes et du public pour les arts premiers et particulièrement les arts africains.
Adaptations
Durant les dernières années, de grands efforts on été entrepris pour donner plus de notoriété officielle et de rayonnement culturel et artistique au musée en allant dans le sens d’une gestion plus scientifique de l’ensemble des collections et d’une utilisation plus pédagogique de l’exposition des objets. Aujourd’hui, il apparaît évident que ce développement ne peut s’arrêter en chemin. Il demande toujours plus de personnel, de compétences et de moyens financiers.
Pour favoriser ce progrès, en août 2003, il a été envisagé de demander au ministère de la Culture et de la Communication le label « musée de France », créé par la loi du 4 janvier 2002. Dans ce but un « projet scientifique et culturel du Musée Africain » était rédigé pour fournir les données les plus précises possibles concernant le musée et ses capacités de développement en vue d’obtenir la démarche d’obtention. Mais, bien qu’elle ait reçu l’accord du conseil provincial, celle-ci n’a pas eu lieu, peut-être parce que l’appellation s’obtient à la suite d’une procédure lourde et codifiée par la loi et que les moyens manquaient pour finaliser le projet. En attendant de répondre au moins à l’essentiel des exigences en vue de l’obtention du label, le conseil d’administration a pensé faire reconnaître le Musée Africain « d’intérêt public » par l’administration fiscale en vue de recevoir des dons et d’émettre des reçus fiscaux.
 Ces considérations exigent également d’examiner les ressources en personnel et en moyens financiers. Aujourd’hui il ne reste dans la province que 16 missionnaires de moins de 60 ans. Aussi se pose la question de savoir de quelle manière introduire un personnel laïc qui soit en même temps qualifié et attentif à la Mission, respectueux du passé missionnaire de la SMA. De même, il faut se demander de quelles ressources disposera le musée pour assurer éventuellement un salaire à du personnel laïc. D’une manière ou d’une autre, ces questions se poseront dans les autres provinces et districts qui gèrent des musées. Par ailleurs, malgré une fréquentation régulièrement en progression, les ressources du musée ne couvrent pas ses dépenses de fonctionnement.
Pourtant, quelles que soient les solutions envisagées pour l’avenir du musée, des tâches indispensables à son existence et à l’amélioration de son fonctionnement s’imposent actuellement. Ainsi de l’identification et de la classification scientifiques d’absolument tous les objets – aujourd’hui un tiers est classé -, de la restauration de certains d’entre eux, d’un meilleur aménagement et d’une meilleure protection de la réserve des objets et de la sécurisation des vitrines où sont exposés les objets de grande valeur.

Au Indispensables aménagements   
Enfin, il faut déjà envisager des aménagements indispensables : un accès vraiment ouvert au grand public et une billetterie indépendante, un espace plus large pour les expositions temporaires et un ascenseur qui donne accès aux handicapés à tous les niveaux d’exposition. A cause de tout cela et si, pour une raison ou pour une autre, la Société des Missions Africaines ne peut plus faire fa&ce à l’existence du musée, se dessinera l’obligation de chercher des solutions du côté d’une tutelle ou d’une intégration dans le patrimoine de la ville de Lyon ou de la région Rhône-Alpes. Pour autant, il ne faudrait pas que la SMA perde entièrement son droit de propriété avec ce bien.
Michel Bonemaison, sma
 Page 26-27

Communiquer

Un des traits essentiels de l’être humain me paraît être sa capacité à communiquer. Ecouter et parler, dire et accueillir, être en relation avec l’autre, avec les autres, n’est-ce pas tout le dynamisme de la vie ? Lorsqu’à vingt quatre ans j’arrive sur la terre d’Afrique, j’ai plein d’outils dans ma besace pour aller à la rencontre d’une culture nouvelle, de moeurs et de coutumes différentes, et pourtant … J’aime raconter ce fait de vie qui a été capital dans mon éducation à l’accueil.

Au cœur de la nuit

La piste traverse le village, bonne occasion pour saluer l’u ou l’autre, ^prendre des nouvelles, témoigner d’un peu d’amitié et continuer la route. Ce dimanche après-midi, Bondé me rejoint à la sortie de sa petite localité : « Le Vieux te demande si tu seras là ce soir ». Ce n’est vraiment pas mon projet, tous le savent ici, mais l’invitation paraît évidente. Alors j’acquiesce. Je poursuis mon chemin, réalise la rencontre prévue et abrège mon séjour dans le secteur pour revenir sur mes pas et atteindre la maison du Vieux à la tombée de la nuit.
La réception est évidemment des plus simples et à la fois empreinte d’une grande cordialité. Un copieux repas m’est servi dans la petite case de paille qui vient d’être construite. Soixante kilomètres de vélomoteur valent mieux qu’un somnifère : je dors comme un loir. Lorsque Sani, le jeune fils du Vieux, vient m’appeler, il fait nuit noire. Il m’invite à le suivre hors du village qui, je le constate alors, est totalement désert. Quelques kilomètres de sentier nous amènent à ce lieu où tous les habitants de Wãradabu sont arrivés pour une cérémonie. Attendu, j’y suis le bienvenu ; une place de choix m’est attribuée au premier rang de cette assemblée où personne ne manque ; hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux, tous participent au rituel que je vois et reçois pour la première fois.
Au cœur de notre cercle, un petit brasier éclaire la scène, le célébrant capte toute l’attention de chacun, le Vieux semble présider. Héritier du fondateur du village, il vient de convoquer les siens à une démarche spirituelle dont j’ai tout à découvrir. Nous sommes en pleine saison sèche, au milieu de la nuit, au sein de la « forêt sacrée » ! La cérémonie bat son plein, l’effervescence s’accroît, les tam-tams rythment maintenant la danse qui relaie l’offrande, la foule est en liesse. Sani vient me libérer de la poussière ambiante : « La fête populaire ne peut rien t’apporter de plus, le Vieux te remercie de ta participation, viens, rentrons au village ».
En harmonie
Plusieurs mois passent, nombreuses sont les occasions de rencontre avec les uns et les autres. Ce matin, en venant à l’école, le jeune Sourokou me porte un message de son grand-père : « Le soir du prochain marché de Bembéréké, Debou (grand-père) reçoit tous ses petits enfants, il aimerait te les faire connaître tous ». C’est entendu, voilà une charmante soirée en perspective, et, pour le voyage, le jeune écolier profite même du porte- bagages de la mobylette.
Je me rends très vite compte que la réunion de tous les petits enfants n’est qu’un merveilleux prétexte pour relire le sens de la rencontre de l’autre nuit. En interrogeant les petits, Debou, le Vieux, plein de délicatesse à mon égard, m’introduit aux mystères de la pensée spirituelle de son peuple. En leur précisant les détails matériels des rites, il m’ouvre à l’intelligence, au sens de la liturgie que précédemment il me donnait de vivre. Ce noble vieillard assure l’éducation de ses descendants, par amitié il m’intègre au sein de sa famille. Il offre à son hôte la possibilité de vivre réellement en harmonie avec tout son peuple.
Lorsque Père Augustin Planque élabore son projet de Musée Africain, il le pense pour communiquer à propos des cultures africaines. Le 20 février 1861 il concrétise son objectif en écrivant la première de ses lettres requérant de ses missionnaires « des objets usuels pour faire connaître votre nouvelle patrie ».
Transmettre
Un siècle et demi plus tard le Musée Africain continue de remplir sa mission, moyen de communication bien vivant au service des cultures des peuples de l’Afrique occidentale subsaharienne. Nombreux sont les visiteurs dont la démarche est guidée par la découverte de l’art, voire de l’histoire de l’art. mais qui ne repart pas avec un regard renouvelé, un questionnement inattendu, un réel enrichissement<, La visite invite à la rencontre de domaine multiples et très variés tels l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la politique, l’histoire, l’éthique, l’esthétique, la spiritualité, etc. …
Les missionnaires qui, par le dons des objets semblables à ceux utilisés par le grand-père Debou, sont à l’origine des collections, ont eux-mêmes vécu ces dimensions durant leurs séjours sur les terres du Golfe de Guinée. Je cite pour exemple le journal bimensuel que lançait au Dahomey (Bénin actuel) le Père Francis Aupiais, « La Reconnaissance Africaine. Organe d’enseignement religieux et d’études historiques ». Il parut trois petites années, du 15 août 1925 au 1° décembre 1927, moment de l’élection de Père Aupiais comme provincial des Missions Africaines à Lyon. Le message est reçu, puisque l’un des rédacteurs, Paul Hazoumé, devient le premier grand écrivain dahoméen de langue française avec Le pacte du sang en 1936 et Doguicimien 1938. Ces œuvres relayent à leur manière la transmission de la sagesse africaine. La bibliothèque du Musée continue ce service en favorisant la lecture et la recherche.
Des recueils de récits historiques, de proverbes, de mythes, de légendes suivront sous la plume d’auteurs vraiment qualifiés. Ils donnent le meilleur de la culture de leurs peuples et permettent ainsi à l’autre de s’initier peu à peu à ce qui lui est étranger. Le Musée Africain bénéficie de ces messages et peut, grâce à eux, transmettre au mieux ce dont les objets sont porteurs sur le plan culturel. Les traditions africaines sont à l’ordre du jour.
Reconnaître
Les collections du Musée Africain ouvrent à tous un langage qui porte essentiellement sur le sens de la vie. Dans les cultures de ce continent, un objet est souvent, de façon symbolique, le support de l’une ou l’autre notion telle la puissance, la fécondité, la dimension spirituelle, etc. Pour permettre d’en partager les valeurs, de les vivre ensemble, certains marquent le rythme qui devient un langage communautaire pour toute société africaine. Ces objets sont par excellence ceux que nous appelons des instruments de musique.
Devant la vitrine des violons me revient en mémoire ma première veillée chez les Peulh en transhumance dans la campagne de Gbesakperu. Le campement, cases de fourches et de paille est des plus rudimentaires. La solitude de ce presque désert est amplifiée par la nuit de la saison sèche. Dans la cour formée par le cercle des tentes, les bêtes entravées sont au repos. Leur souffle régulier semble être le seul signe de vie qui entoure le petit groupe familial auquel je suis invité à me joindre. Yada, équipé de son petit violon, devient l’animateur d’une veillée qui pourrait s’éterniser tant le rythme et les sons deviennent envoûtants. Bercé par la mélodie, chacun, en groupe, se resitue solidaire de la nature, du cosmos. Le message passe : « le rude isolement de la transhumance n’est qu’un aspect de la vie ».
C’est aussi de la vie que parle le griot qui glorifie le roi, le notable ou l’hôte. Il est la mémoire de la société. Scandant le rythme, la mailloche frappe la peau tendue du tambour d’aisselle, les doigts du musicien tendent et relâchent les cordes du tam-tam ; qu’il chante ou qu’il proclame, historien reconnu, il prête sa voix aux récits qui construisent toute société. Dans d’autres circonstances, de leur son grave, les gros tambours suffisent à rythmer la cérémonie ; tout Africain sait reconnaître le message, qu’il vienne de la cour royale ou qu’il invite à accompagner un défunt dans son passage ultime. Il s’agit bien aussi du domaine spirituel lorsque les grelots ou les cloches tintent, nul ne l’ignore.
Oui, en Afrique aussi les objets parlent, et leurs voix rythment la vie quotidienne tout comme elles unifient la liesse populaire qui clôture chaque cérémonie. Conservés au Musée Africain, « objets inanimés vous avez donc une âme » !
Michel Bonemaison, sma
Lyon avril 2007.
 Réédition chez Maisonneuve et Larose, Paris, 1978.
 Une mention spéciale aux écrits de l’abbé Gabriel Kiti – deuxième prêtre dahoméen, né en 1900 -, parus dans La Reconnaissance Africaine, Les Missions catholiques, L’Echo des Missions Africaines de Lyon et L’Anthropos et rassemblés dans les Etudes Dahoméennes en janvier 1968 par l’IRAD sous l’égide du ministère de l’Education nationale et de la Culture.

Lyon, tremplin pour les échanges missionnaires.

Une année de la mission.
MISSI avril – mai - juin 2006 n°94


Une perception de la mission à travers le Musée Africain de Lyon.

    Le terme missionnaire semble véhiculer des clichés bien surannés : le casque colonial, la barbe, la moto et, pire, le prosélytisme ! Que de fois l’on entend affirmer tout de go : « vous avez détruit les cultures africaines, vous avez imposé votre religion ! » Dans le même temps, qui n’est pas investi d’une mission politique, diplomatique, de développement, ou sociale et caritative, toujours reconnue d’utilité publique ? Pourquoi une mission d’ordre spirituelle ne serait-elle pas tout aussi honorable ? Si l’on apprécie un peu les données de l’histoire, quel que soit le domaine que l’on aborde, on sait très bien qu’il y a un danger à éviter absolument, c’est celui des jugements anachroniques. C’est vrai que chaque époque commet ses erreurs et agit dans l’imperfection ; combien est-il important de dénoncer ces égarements.

L’origine de la mission

    Pour nous, chrétiens, la mission a son fondement en Jésus de Nazareth ; lui-même tient sa mission de son Père. Envoyé du Père il a pour projet de dire que Dieu est Amour ; il réalise ce projet en étant lui-même amour ; plein de respect pour chacun il se fait le frère de tous. A l’imitation de ce Jésus de Nazareth, le disciple est invité à se mettre en route, à aller à la rencontre de l’autre, à sortir de lui-même pour témoigner d’un amour plus grand que lui, d’un amour qui le dépasse et qui englobe toute l’humanité. Ce vécu de la mission est une des exigences qui découle du baptême offert par la famille du ressuscité. Vivre ainsi la fraternité en Christ devrait être le  pain quotidien de chaque chrétien !

    Depuis sa fondation l’Eglise a envoyé ses fidèles aux quatre coins du monde. Aujourd’hui encore elle nous invite à vivre la fraternité chrétienne en allant au-delà des réalités du quotidien, en quittant notre culture ; elle nous permet d’aller à la rencontre de l’étranger qui vit chez nous. Apprendre à rencontrer l’autre, en l’accueillant dans ses différences et en allant au-delà de ces différences, voilà une des dimensions de la mission. Cheminer avec lui sur nos sentiers ; mais aussi aller prendre la route ailleurs, apprenant à cheminer sur les chemins des autres ! Prendre leur rythme, emboîter leur pas et savoir attendre leur questionnement pour être un jour invité à dire les valeurs qui nous animent, c’est une sortie de nous-mêmes à laquelle nous convie notre baptême.

     L’Eglise continue d’envoyer les siens hors de leur terre natale à la rencontre des peuples, des cultures, des religions. Préparé à la mission de l’Eglise au sein de ma famille missionnaire, les Missions Africaines de Lyon, sma, j’ai eu le bonheur, de 1965 à 1998, de partager les joies, les soucis, les peines, les espoirs de milliers d’hommes et de femmes, en Afrique et en Amérique latine. Pour moi, bonheurs et difficultés, tout ensemble, furent l’occasion de mûrir, de construire dans la paix et l’espérance. Une grande joie s’y ajoute, celle d’avoir vu naître la fraternité au nom de Jésus, l’Eglise. Aujourd’hui c’est toute cette richesse que la sma m’invite à transmettre en me confiant la valorisation de l’un de ses joyaux : le Musée Africain de Lyon.


Une histoire d’amour

    Né de la volonté des fondateurs de la sma, ce musée propose aujourd’hui plus de 2000 objets à la contemplation des visiteurs, des étudiants, des chercheurs, des familles, des écoles et des collèges, avec pour appui scientifique une bibliothèque spécialisée. « Ramenez des objets qui fassent connaître la manière de vivre de ceux qui vous accueillent », demandait le P. Augustin Planque à ses premiers missionnaires. C’est ainsi que beaucoup rapportèrent ce que leur offraient les Africains, en signe d’amitié et de confiance. Une deuxième étape permettra de constituer progressivement ces riches collections ; dans un souci fraternel les pères ont déposé ces cadeaux à la maison mère, cours Gambetta à Lyon.

    C’est avec chacun de vous, visiteurs, que nous vivons la nouvelle étape en apprenant à écouter les cultures que représentent ces objets, en accueillant les sagesses qu’ils nous proposent, en nous préparant à vivre en harmonie avec les populations qui rejoignent nos contrées natales. Voilà à nouveau une belle histoire d’amour en perspective !

    Chaque visiteur vient avec son projet, glanant ce qui peut l’enrichir, avec une requête à sa mesure. Nous sommes là pur l’accueil, pour l’accompagnement avec pour support à nos paroles des objets cultuels de l’Afrique occidentale subsaharienne. Nous essayons de partager les valeurs sur le plan humain ; si l’on aborde aussi la dimension spirituelle des traditions africaines, ce qui occupe parfois notre propos, ce sont les cheminements des hommes dans leur quête vers l’au-delà : les religions traditionnelles, les islams, les christianismes … Le musée devient alors un lieu où l’on manifeste un grand respect de la démarche de chacun.


Questions

    En équipe nous accueillons les visiteurs ; nous venons d’horizons très différents, toutes générations confondues. Notre contact avec les cultures  africaines est lui aussi réellement diversifié, tandis que notre souci commun est de dire l’Afrique et les Africains dans leur volonté de construire leur avenir. Cette ouverture suppose de la part de tous un effort de formation. Nous nous en donnons les moyens au sein d’une société vieille de quinze ans : l’Association de Gestion du Musée Africain de Lyon, l’AGMAL.

    A l’aide de quelques vitrines, nous en venons aux questions les plus récurrentes chez les visiteurs.

Ainsi de l’esclavage : des entraves de pieds et de cou, un pistolet et des cornes à poudre, de la belle pacotille, colliers de perles et potiches, voilà qui évoque sobrement l’horreur des rapports humains, hier ! Ne convient-il pas d’en tenir compte aujourd’hui pour apprendre à construire ensemble avec respect et discernement ?

En ce qui concerne la colonisation, une porte de maison baoulé (Côte d’Ivoire) exprime une sagesse par la disproportion des personnages sculptés dans le bois. En effet l’étranger qui vient à nous doit être animé par un message important s’il a vécu un tel déplacement. L’hôte est à l’honneur au centre et il est immense tandis que les deux porteurs, africains, sont petits et tout à son service, prêts à accueillir la parole de sagesse qui est venue à eux. Que symbolise alors la hyène ? Belle page d’histoire, voire de philosophie !
Le pouvoir ou l’administration, l’organisation militaire et l’apport de la religion chrétienne. Le message valait-il le déplacement ? Quelles valeurs ont été reçues, voire mises en œuvre ? Chaque élément bien remis dans son contexte facilite le questionnement.

Quant à l’au-delà, le visiteur est immédiatement alerté par la symbolique sculptée, peinte ou pyrogravée sur chacun des objets les plus usuels : plusieurs dimensions s’entrecroisent, la matérialité du geste à accomplir et l’au-delà du regard se côtoient. Que ce soit à la maison, à l’atelier, aux champs, à la pêche, à la chasse il est ainsi ; nous sommes en Afrique !
Juste à côté de la porte baoulé un ensemble de portes de greniers : par leur message sur la vie transmise et entretenue par les ancêtres, elles semblent écrire une page de métaphysique, une vision sur l’avenir !
C’est de ce dialogue permanent avec l’au-delà, voire avec la divinité, que parle le troisième niveau, entre statuettes et masques, serviteurs de tous les grands moments de la vie sociale et familiale. J’aimerais vous dire : « Venez et voyez ».


Inculturation

    C’est dans ce domaine du « dialogue avec l’invisible » que quelques magnifiques sculptures apportent un élément de réponse au bien-fondé de la rencontre des cultures ; elle n’est pas qu’un choc ! Quelle joie de pouvoir admirer l’inventivité due à l’apport mutuel ; écoutons les personnages adeptes du Vodun et allons contempler la statuette travaillée dans le bois par l’artiste de Kétou pour dire la Vierge du Fiat. Quelle évidence : un message nouveau est transmis dans le langage habituel des populations locales !

    Tout simplement pour clamer qu’un visage de la mission aujourd’hui peut passer par la muséographie.

P. Michel Bonemaison, sma

Le Père Michel Bonemaison est responsable du Musée Africain formé par des générations de ses confrères. Complètement rénové, ce bâtiment accueille également des expositions temporaires et toutes sortes de manifestations permettant de mieux comprendre la culture africaine dans ses diverses dimensions, dont la religieuse.