Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

samedi 30 avril 2011

Le rite divinatoire du Fa ou IFA

Le rite divinatoire du Fa ou IFA
dans le contexte de la vie et des cultes
de la société Yoruba :
passée, présente et à venir.

1. LA NECESSITE DE SAVOIR

Quelle que soit la façon de les poser, il y a des questions qui sont universelles, tant elles préoccupent l’être humain. La première en importance, dans le temps et dans l’espace, est sans aucun doute celle qui interroge sur le sens de la vie. Tous les hommes, depuis la nuit des temps ont essayé de comprendre le pourquoi et le comment non seulement de leur passage sur terre mais aussi de leur éventuel avenir, sans négliger une enquête sur les aléas et les limites de la condition humaine.
Une des manières de répondre a été souvent et est encore le mythe, le récit. Bien souvent aussi, en bien des lieux, en tout temps, il est fait recours à la divination. C’est au sein de leur démarche spirituelle que les peuples africains intègrent ce questionnement lui donnant une dimension toute religieuse. Pour le Vodún, (un des cultes originels parmi l’ensemble des Religions Traditionnelles vécues au sud du Bénin et du Nigéria,) cette divination a pour nom ‘Fa’ chez les Fon et ‘Ifa’ pour le peuple Yoruba.
En écoutant un peu l’histoire nous apprenons que la technique de divination fa / ifa viendrait de Perse par l’Egypte, d’où elle aurait migré vers la ville sainte d’Ifê (Nigéria) et, de là, jusqu’à la côte du Bénin actuel, sans doute au milieu du 18ème siècle.
Pour que soit pratiquée la divination, un individu ou un groupe donné prend donc la décision de « consulter » le fa / Ifa. Pour ce faire, le patient s’adresse à un spécialiste qui prend en compte sa demande, c’est le Bokonõ / Babalawo. Un certain nombre d’objets sont le support à la divination et sont mis en mouvement selon des rituels plus ou moins complexes. Le résultat de ces mises en scènes donne lieu à une interprétation  qui se révèle toujours vitale.


2. NECESSITE DE CONSULTER 
Sur quoi doit donc plancher le devin : bokonõ / babalawo ? 
Il a à répondre à tout ce qui préoccupe l’être humain et son groupe social car chacun est en droit de comprendre le sens de sa vie. Tout ce qui de près ou de loin apporte le malheur et qui est frustration à la vie : la mort, la maladie, la misère, l’infécondité, l’insécurité, l’incertitude face à l’avenir, la jalousie, les injures et insultes est l’objet de la recherche du devin. Tout ce qui est aussi attente, espoir, espérance ou simplement objet de désir, voire de convoitise, peut être confié aussi  aux bons hospices de babalawo.
Le fait de la divination ne peut pas être compris seul, il est à resituer dans son contexte qui est une quête spirituelle qui sera vue plus loin. Ainsi il faut savoir que la divination est une démarche qui permet de nommer la difficulté rencontrée tant dans les relations individuelles que pour celles du groupe, à l’intérieur du groupe lui-même ou en lien avec une autre société humaine.
Par ailleurs il est nécessaire de trouver une raison aux revers de fortune quelle que soit la forme qu’ils prennent. Connus, « nommés » il faudra s’en protéger ; c’est alors qu’entrera en  scène la recherche de protection avec le savoir- faire par médicaments bô / ogũ des phytothérapeutes et des prêtres qui, logiquement, inviteront à pratiquer des offrandes, voire des sacrifices avò / ogũ.


3. CELUI A QUI L’ON S’ADRESSE
Le spécialiste de la divination est le Bokonõ / Babalawo, qui a reçu, un héritage familial de son père ou de son grand-père ; parfois, il a vécu une initiation auprès de collègues plus expérimentés. Voyant ou devin, interprète de Fa, il est celui à qui on a ouvert les yeux sur le monde invisible pour connaître le destin d’une personne, découvrir l’origine cachée des malheurs qui la frappent. Il a l’art de démasquer les sorciers, eux qui utilisent leur savoir pour manipuler et qui le font toujours par appât du gain.
Toute société n’a-t-elle pas ses malfaiteurs ? Et si ces derniers agissent sous couvert de « religion » ils n’en sont pas moins des escrocs et des faussaires tandis que comme tout devin dans son aire culturelle, le babalawo, lui, est authentifié par la recherche du bien, de l’équilibre de la personne, de la paix sociale. En fait, il participe à cette grande valeur tant recherchée par les Africains : l’harmonie.


4. LES OBJETS ET LES RITES PROPOSES 
Un grand nombre d’objets et une aussi grande variété peuvent être un support à la divination et sont mis en mouvement selon des rituels. Des cailloux ou des graines sont jetés comme des dés sur un plateau ; des études très sérieuses tendent à prouver le calcul savant auquel se livre le devin ; pourtant là la prudence est de rigueur car il faut tenir compte à la fois des nuances culturelles et se laisser guider par la dogmatique.
Le plateau de bois est l’occasion de représenter l’invisible protecteur par des sculptures souvent de belle facture.
Peu importe la matière des objets utilisés, et les rites mis en oeuvre, est essentielle l’interprétation qui, elle, est récurrente ; elle est comme un dogme reconnu, vécu et appliqué par tous les devins de IFA. Toute interprétation est annoncée en Yoruba, même en milieu fon ; on peut dire qu’il s’agit de la langue liturgique retrouvée aussi aux Caraïbes et au Brésil.

« L’âge idéal pour connaître son destin est le début de la vie adulte. Cela se passe dans le bois sacré où l’impétrant se voit révéler le signe sous lequel il est né. Pour le connaître, le Bokonô se sert d’un plateau recouvert d’une couche de poudre. Sur ce plateau il trace le signe qu’il découvre en manipulant des noix de palme dans ses mains.
Pour une consultation ordinaire, il prend une sorte de chapelet sur lequel sont enfilées 2 séries de 4 demi-noyaux de fruits ; lancés en avant, les demi-noyaux laissent une trace simple s’ils tombent sur la face convexe, une trace double s’ils tombent sur la face concave : d’où 8 signes en 2 rangées parallèles. On dénombre 256 (16x16) combinaisons de signes simples et doubles, 16 grands et 240 secondaires. A partir de proverbes, contes ou mythes propres à chaque signe, le devin interprète la réponse à donner au problème posé. »



Les causes naturelles ne suffisent pas à expliquer un échec, une maladie grave, un décès, un malheur... qui peut être dû, soit à une faute personnelle qui a entraîné le courroux des ancêtres ou des vôdun que l’on n’a pas suffisamment honorés, ou à qui on a désobéi, soit à des sorciers, des jaloux …, il convient donc d’interroger Fa pour en connaître l’origine, et agir en conséquence. 


5. LA DIMENSION SPIRITUELLE

    Rejoignant le projet de toute religion traditionnelle la divination relève d’une quête spirituelle car elle permet la relation avec les ancêtres, et par eux avec tout l’au-delà. En fait il participe à cette quête de l’harmonie avec les puissances visibles et invisibles.

« De devin, le Bokonô devient alors médecin et pharmacien. Il peut confectionner aussi bien un médicament à base de plantes ou d’autres ingrédients pour guérir d’une maladie, qu’une amulette pour protéger des sorciers ou d’un danger. Il possède souvent près de son domicile un dispensaire où logent des malades gravement atteints physiquement ou psychiquement. Guérir le corps ne suffit pas, il faut remettre en ordre un système de relations socio-religieuses perturbées, expulser le mal ou les mauvais esprits, par des soins à base de plantes, d’eau, de feu, de sacrifices, et aussi de palabre : c’est la spécificité de la médecine africaine. »

« Le bôkono n’est pas un sorcier, une personne méchante, qui consciemment ou non fait du mal. Au contraire, son action consiste à découvrir le mal et à le contrer. Cependant, on fait remarquer que pour contrer le sorcier, il doit posséder cette force sorcière, que tous les deux tiennent de leurs relations avec l’au-delà ; mais s’il s’en servait pour faire le mal, il perdrait alors son pouvoir de voyance … »

Michel Bonemaison
Directeur du Musée Africain
Lyon le 8 septembre 2009


 Nous écrivons Vodún ainsi pour plus de facilité, mais il serait plus indiqué de transcrire Vodũ pour signifier le culte originel vécu au sud du Bénin et du Nigéria, tandis que les autres orthographes renvoient aux cultes vécus dans les Caraïbes ou au Brésil.
 Lorsque cela s’avère nécessaire nous indiquons à la suite du mot français en premier lieu le nom Fon suivi de son homonyme Yoruba reliés par un slash ; ce qui donne : divination : fa/ifa.
 Nous devons beaucoup à l’ouvrage de Pierre Saulnier SMA « Vodún et destinée humaine » / Société des Missions Africaines / 25 rue des Naudières 44401 REZE Cedex .
 Babalawo qui signifie « le détenteur de secrets »  est le terme le plus courant, mais il est aussi nommé ONIFA, celui qui détient Ifa.
 Quand la mentalité occidentale va-t-elle se débarrasser de ces clichés qui desservent les cultures africaines et utilisent des mots pièges pour tout dire et ne rien dire. Malheureusement beaucoup d’africains, à notre école, utilisent notre lexique désuet pour exprimer en français de manière erronée ce qu’ils disent merveilleusement bien dans leurs propres langues. Le mot sorcier est un de ces lieux communs dont il est urgent de nous libérer.

 Pour baigner dans les différentes expressions culturelles des peuples africains, vous êtes invités à visiter notre site  «  musée-africain-lyon.org  »
 Tiré de Pierre Saulnier.  La plupart des informations de ce type sont empruntées presque tous les auteurs aux ouvrages de Félix Iroko qui est intarissable sur le sujet. Je rappelle néanmoins que la diversité des cultures est à prendre en compte pour ne pas risquer de figer quelque rituel que ce soit.
 Emprunt à Pierre Saulnier. Voir aussi Félix Iroko.

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