Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

samedi 30 avril 2011

LA CHANSON DU MORTIER (septembre 2009)




Mortier, toi qui présides au sein de la cuisine, te souviens-tu que pour ta conception l’homme devient bûcheron ? Il choisit un bel arbre au tronc régulier, au fût majestueux. Pour pouvoir l’acquérir, quelle belle prière peut sortir de son cœur, adressée aux puissances invisibles protectrices de la forêt !

Le vent harmattan souffle fort, le moment de la coupe arrive, le temps est propice car la sève se repose. Accroupi, le bûcheron offre la noix de kola, il la partage, il en donne à la terre et en consomme un peu. L’oblation favorise l’harmonie ; l’homme qui sollicite et la nature qui comble ne font plus qu’un maintenant. D’elle il reçoit la bénédiction et la permission d’abattre celui de qui tu nais.
La hache et le coupe-coupe entament, abattent, tronçonnent. Enfin le bûcheron devient sculpteur. Quelle patience, quel amour ! Les copeaux volent. Lorsque ton pied prend forme la stabilité est assurée. Le galbe du fût est parfait. Il évide son sommet, cette béance se révèle être un réceptacle. Ah ! Si mortier pouvait parler.
Oui, tu peux parler, chanter même, car les mains de ton créateur continuent la métamorphose du bois. Il façonne un long bois, rigide et boursouflé aux deux extrémités. Celui qu’il t’adjoint ainsi participe à ta vocation, on le nomme pilon. Dans certaines cultures il est ton enfant selon le même principe que la pierre qui écrase est la fille de celle qui accueille les condiments. Pour d’autres il est ton époux, mais toujours le duo est évocateur d’harmonie, de complémentarité.
L’un et l’autre vous vivez une alliance qui met ta féminité en œuvre. N’es-tu pas le réceptacle des aliments qui te sont confiés ; tu es le creuset de leur transformation pour la vie des hommes. Epluché, coupé en morceaux puis bouilli, la ménagère dépose en ton sein l’igname qui pilé devient pâte. Tu es aussi le réceptacle qui reçoit les céréales ; sous l’effet du pilon elles se changent en farine.
Mortier, autour de toi s’affairent les ménagères. Une, deux, trois, la ronde est engagée ; le ballet des pilons s’active. Un air de fête paraît quand la cadence est marquée qui par les mains frappées ou le pilon cogné sur ton flanc. La cadence, le rythme, binaire, ternaire tout à la fois ! Les céréales, les voilà moulues pour la nourriture de tous ; la vie de la famille, tu la chantes, tu en clames cette autre dimension qu’est la communauté dans le labeur.


Tu le signifies à nouveau dans le silence lorsque couché sur le flanc dans la cour de la maisonnée tu attires le regard du parent, du passant : « l’un des vôtres s’en est allé !». Un jour ton tour arrive, à toi d’aller aussi, jusqu’à la tombe. Brisé en morceaux, tu accompagnes l’une ou l’autre dans la terre ou fiché sur le tumulus qui recouvre sa dépouille. Là encore tu témoignes de ce compagnonnage que fut ta vie au milieu des humains.
De ce qu’elle est encore, car ces « reliques » continuent de parler, les vergetures de ton fût brisé sont éloquentes, elles disent les saisons, les années qui se sont écoulées. Malgré le temps qui, dit-on, efface tout, des sculptures demeurent lisibles. Elles ornaient le mortier qu’utilisaient les femmes, les invitant par leurs symboles à élever leur pensée au-delà de leur activité ménagère, vers les ancêtres à qui elles devaient leur savoir-faire, vers Celui dont elles partageaient le souci de nourrir la famille.
Elles ornaient le mortier, elles sont encore là, toujours là interpellant celui qui passe ; par elles tu raisonnes encore et encore, tu nous parles toujours, le son de ton flanc martelé, pilonné, le rythme et la cadence font vibrer à jamais ceux que tu rassasiais. Oui mortier, tu sais parler, ton langage est celui de l’éternité.

Michel Bonemaison
Directeur Musée Africain
Lyon 14 février 2009 – Appel de l’Afrique septembre 2009

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