Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

mercredi 18 mai 2011

Comment s’est constitué le Musée Africain

Parler du Musée Africain c’est dire une partie importante du patrimoine africain lyonnais – et lyonnais depuis sa naissance. En effet à Sainte-Foy-Lès-Lyon, puis au quartier de la Guillotière s’implante le tout jeune institut missionnaire fondé en 1856 par un évêque, Mgr Melchior de Marion Brésillac, et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. L’histoire du Musée, c’est l’histoire d’hommes convaincus. A travers leur action se construit ce joyau patrimonial. Evoquons donc la figure de plusieurs de ces hommes tournés vers l’Afrique, avec l’originalité de leur regard sur ce continent.

De Melchior à Augustin

A l’époque, on appréhendait l’Afrique autrement. L’Occidental avait tout à découvrir lorsqu’il débarquait dans le Golfe de Guinée – partie ouest du continent, aussi appelée golfe du Bénin ou encore côte des Esclaves, selon l’angle par lequel il était abordé ! De  son côté, lorsqu’il fonde son institut missionnaire pour l’Afrique, de Marion Brésillac a déjà une grande expérience de la mission. Il vient de vivre en Inde douze années très riches en enseignement dans sa rencontre avec la société des castes. Il conseille à ses prêtres de ne plus être ni Français, ni Italien, ni Espagnol, mais de vivre une sortie de soi pour se faire tout à la culture des peuples qu’ils approchent.

« Il suggère à la Propagande de lui confier la juridiction du royaume du Dahomey, célèbre pour le commerce d’esclaves et les sacrifices humains. C’est un royaume qui présente des défis évidents et revêt l’avantage d’être authentiquement africain … On lui confie, au contraire, le vicariat apostolique de Sierra Leone regardé comme une mission plus sûre … » Cette terre ne sera pourtant guère hospitalière à la première équipe ; la fièvre jaune les emporte tous très rapidement entre le 2 et le 28 juin 1859, année de leur arrivée.

Le fondateur n’a pas le temps matériel d’initier une rencontre originale avec l’Afrique. Authentifié par Rome, le jeune père Planque (33 ans) prend la relève. Confiant en ses compétences, de Marion Brésillac lui avait écrit en cette année 1859 : « Si la mer et ses écueils voulaient que cette année fût la dernière, vous seriez là pour que l’œuvre ne fit pas naufrage ». Augustin Planque continue donc à appeler et à former à la vie missionnaire. Il collecte de l’argent pour envoyer et soutenir ceux qui rejoignent l’Afrique. Il assure par courrier le suivi de ses missionnaires ; c’est une mine pour saisir ce qui est vécu et ce qui se construit lentement dans la rencontre et des cultures et des religions. Il veut des hommes trempés, aguerris !

Les relations épistolaires revêtent une grande importance pour le Planque. Il a le souci de savoir, de connaître pour pouvoir dire et montrer l’Afrique aux Lyonnais, aux Occidentaux ; il désire les inviter à aller plus loin que la simple curiosité ! Il recommande à ses missionnaires d’ « envoyer toute espèce de choses du Dahomey : rien ne sera inutile, c’est avec les objets les plus simples qu’on se fait des amis … Accompagnez chaque chose de quelques mots de notice ». Cette lettre du 20 février 1861 est le texte fondateur du Musée Africain. Le 19 mai, il insiste à nouveau : « N’oubliez pas de nous envoyer par la première occasion, une collection de choses de votre nouvelle patrie. Nous voulons avoir dans notre musée tous vos dieux d’abord, des armes, des outils, des ustensiles de ménage ; en un mot rien ne doit y manquer ». Le musée peut se glorifier de répondre à ce souhait : répartis en trois étages, 2126 objets en exposition permanente occupent 140 vitrines, avec une exposition temporaire régulière qui peut couvrir 750 m².


L’appel aux femmes

Le 17 octobre 1861, le Père Planque s’adresse au Père Lafitte qui vient d’arriver au Dahomey. Pendant son séjour au grand séminaire de Lyon, Irénée Lafitte a montré beaucoup d’intérêt pour ce que l’on appelle les sciences humaines. Augustin Planque lui écrit donc : « Je vous rappelle toutes vos promesses de détails nombreux sur le Dahomey et sur l’envoi de curiosités du pays ; vous savez que toute chose, même la plus commune, provenant du Dahomey, est une curiosité pour nos musées ». Il a eu ainsi la satisfaction de repérer, parmi les aspirants, des confrères sachant apprécier la culture africaine et comprenant la nécessité de communiquer.

Toute cette démarche des pionniers à la rencontre « des peuples les plus abandonnés de l’Afrique » engendre des attitudes et des prises de conscience. Amenés à dire les besoins élémentaires leur permet de mieux vivre leur mission. Il nous faut des religieuses pour s’occuper des femmes, des jeunes filles, écrivent des hommes de terrain. Augustin Planque déploie toute son énergie pour répondre à leur attente. Voilà pourquoi, le 28 janvier 1868, s’embarquent les trois premières religieuses qui vont rejoindre la mission du Père Philibert Courdioux (1838 – 1898). Leur congrégation est basée à Lyon, ce sont les franciscaines de Couzon. « Immédiatement elles se mettent à l’œuvre, c’est-à-dire aux visites des cases, au rachat des petits esclaves, à l’organisation de l’école ». Et Augustin Planque d’ajouter : « Elles vont donner une grande vie aux premiers éléments de la mission, en relevant la femme et en permettant de fonder la véritable famille chrétienne par des mariages entre fidèles ».

Nombreux sont les objets qui en exposition permanente, disent la place de la femme dans la société africaine. Certains sont très évocateurs du respect conféré à la maternité. Fécondité et puissance participent de pair à la transmission et à la croissance de la vie dans l’équilibre harmonieux demandé par les ancêtres. Quant à ces petits esclaves qu’elles sont amenées à racheter, ils mentionnent cet immonde et intolérable commerce de l’être humain. Les missionnaires s’y sont attaqués, déployant une énergie inimaginable ; les écrits de l’un ou de l’autre relatent comment il s’embusquait pour détourner les colonnes d’esclaves qui étaient amenés vers les bateaux et leur faire manquer la date de l’embarcation.

Le 5 janvier 1861, trois prêtres s’embarquent à Toulon, les pères Borghero, Fernandez et Edde. Louis Edde meurt le 9 avril en cours de route, à Freetown, il a 24 ans. Ses compagnons débarquent le 18 avril sur la plage de Ouidah, au Dahomey. Francisco Fernandez meurt le 30 novembre 1863, à l’âge de 28 ans. Francesco Borghero est un érudit ; sa notoriété et sa pugnacité lui permettent de rencontrer le roi d’Abomey, en toute solennité, tout en imposant son refus de certains rites qu’il juge barbares. Dans son journal, écrit en français, il a des pages d’une terrible précision sur les sacrifices humains. En résonance voilà qui ramène à une lecture des chapiteaux du Moyen-âge : la main posée sur les têtes coupées des ennemis, pour dire l’appropriation par le vainqueur de toutes les qualités et pouvoir du vaincu. C’est ainsi que des gravures et des photos représentent des trônes de rois reposant sur les crânes de leurs ennemis vaincus.



Rencontre par la langue

Les peuples africains transmettent aussi des us et des coutumes qui interpellent par leur sagesse. C’est ainsi que, toujours au Musée Africain, on peut admirer un trône dont les quatre pieds sculptés représentent deux couples signifiant la transmission de la vie ; le roi veille ainsi à ce que fécondité et puissance soient en harmonie avec la vie que les ancêtres lèguent aux vivants.

Dès le début, les missionnaires s’efforcent d’apprendre les langues de ceux vers qui ils vont. Il leur faut écouter, noter, décrypter ; heureusement il y a souvent, parmi leurs proches, des Africains ayant eu des contacts avec des commerçants occidentaux, particulièrement de puis la fin du XVe siècle, avec les Portugais qui avaient établi nombre de comptoirs sur cette côte occidentale. Profitant de ces commodités, plusieurs s’attèlent à l’étude systématique ou du vocabulaire ou des formes littéraires, créant lexiques, dictionnaires ou grammaires. C’est le cas de Père Joseph Joulord, originaire d’Angers (1871 – 1951).

Connaître la langue de ses hôtes permet une rencontre des plus enrichissantes. Les missionnaires désirent partager leur savoir, c’est pourquoi ils se mettent à construire des écoles et consacrent, pour certains d’entre eux, beaucoup de temps à l’enseignement. Ainsi en est-il de Père Auguste Moreau (1847 – 1886). Natif de Combre, dans le diocèse de Lyon, il arrive à Elmina en Côte de l’Or (Ghana) le 18 mai 1880. Voici un extrait de sa première lettre : « Nous avons visité les anciens chefs et les principaux habitants de la ville. Nous avons été accueillis partout. Tout le monde savait déjà que nous devions venir et on demande quand nous devons commencer notre école. Hier le chef Accra Cokou nous a demandé si nous enseignerions le français ; il veut nous envoyer quelques-uns de ses enfants pour l’apprendre. A lui tout seul il peut fournir pour faire une grande classe : il a peut-être cinquante enfants … »

Haut niveau

L’effort vécu par les missionnaires est motivé par le souci qui les anime de donner la Bonne Nouvelle. Ils prennent les moyens de le faire en se faisant les plus proches possibles des populations. L’école d’une part, et la connaissance de la langue d’autre part, deviennent les deux moyens de se faire comprendre. La catéchèse en langue locale suscite chez Père Noël Baudin le besoin d’écrire un catéchisme en yoruba ; bien d’autres suivront – celui-là est consultable à la Bibliothèque du Musée. Parler la langue facilite l’écoute, met en confiance et permet des échanges de très haut niveau. Les Africains aiment initier à leurs démarches religieuses ceux qui les respectent. Le missionnaire catholique est ainsi impliqué dans une relation empreinte de délicatesse à l’égard des autres religions, même si parfois il doit parler selon les convictions de sa foi ! Nombreux sont les objets du Musée qui sont une référence au culte, aux rites, aux cérémonies religieuses traditionnelles.

Pour terminer, il convient de mentionner Père Jean-Marie Chabert (1874 – 1933) : en 1923, pendant son mandat de supérieur général, il conçoit l’espace du Musée dans le bâtiment actuel. A Père René Faurite (1941 – 2002) nous devons l’effort de modernisation qui aboutit à la muséographie offerte aujourd’hui. Puisse le Musée Africain rester dans la dynamique de ces géants de la rencontre avec l’Afrique !
Michel Bonemaison, sma


Michel Bonemaison est le directeur du Musée Africain de Lyon

Page 16-17

Ce que représente le Musée Africain

Désirer connaître la provenance des objets qui constituent les collections du Musée Africain est tout à fait légitime. On peut parfois regretter certains amalgames ; en effet, il arrive que des visiteurs condamnent, à son propos, « le pillage du tiers-monde » sans connaître la provenance réelle des collections. Fidèles au vœu d’Augustin Planque, les pères ont rapporté, ou envoyé, ce que leur offraient les Africains, ou ce qu’eux-mêmes achetaient. Pour sa part, Francis Aupiais a commandé de nombreux objets pour les expositions et les tournées qu’il a effectuées en France au début du XXe siècle ; aujourd’hui, bien placés parmi les joyaux du musée, ils illustrent les années vingt. Tout cela constitue les bases de recherches qui ne peuvent que se développer et qui conditionnent l’avenir du musée.

Comprendre de l’intérieur

Plus que des notices scientifiques, les écrits des missionnaires sont les récits de leur vie quotidienne. Ces petits cahiers d’écoliers sont de véritables archives pour un historien ; la relation des us et coutumes est écrite à la manière des ethnographes. Cette somme de documentation favorise le travail de la mission et est éditée dès janvier 1902 sous la forme d’un bulletin : L’Écho des Missions Africaines de Lyon. Le récit de tous ces contacts permet aujourd’hui aux jeunes chercheurs d’informer scientifiquement sur les objets. Ce fut le cas pour l’exposition, maintenant itinérante, sur les poids akan.

À propos de ce que représentent les objets présentés au musée, les remarques de Noël Baudin sma (1844 – 1887) sont précieuses. Il écrit à Augustin Planque : « Dans les premières années de mon séjour à la côte des Esclaves, le grand féticheur étant mort, on avait mis hors de sa case tous ses fétiches […] ; je demandais aux Noirs pourquoi ils traitaient ainsi leurs dieux, ils m’affirmèrent que les dieux n’y étaient plus ; alors toutes les statues et autres symboles des dieux, désormais inutiles, avaient été jetés hors de la case ». D’autres observations permettent de conclure que les objets, sortis de leur contexte, social, culturel, cultuel, sont totalement inefficaces. Pour répondre à la hantise de certains de nos contemporains, ils ne sont pas de ces « entités pleines de charges fastes ou néfastes » dont nous aurions à nous protéger. En créant ce musée, Augustin Planque voulait faire comprendre les peuples africains, dans le contexte et la mentalité de son époque - ce que nous continuons aujourd’hui avec d’autres instruments de compréhension et une autre mentalité.
La Société des Missions Africaines se sait investie de la mission de partager ce patrimoine africain et lyonnais. Pour beaucoup d’Occidentaux, l’histoire de l’art est la lucarne la plus accessible. Ce qu’ils entrevoient peut – pour qui le désire – amener à la rencontre de cultures et de cultes porteurs de valeurs et de contre-valeurs. Les accueillir objectivement, sans préjugé aucun, en brisant les clichés, ne serait-ce pas une occasion d’enrichissement ? La fréquentation des expositions organisées par le musée ne pourrait-elle pas susciter une rencontre bilatérale, une prise de conscience de ce que notre histoire commune avec le continent africain nous invite à construire maintenant ?
Au niveau de la recherche

Afin de répondre au mieux à toutes ces questions la société des Missions Africaines a mis en place, en 1990, une association loi 1901 pour gérer le musée. « Cette association a pour but le soutien de l’action du usée Africain de Lyon pour la promotion de l’art et de la culture des peuples de l’Afrique noire, et toute action se rapportant à cet objet, notamment sa gestion permanente » (article 2 : objet). A ce jour, ce sont près de cinquante adhérents qui participent, chacun à sa manière et selon ses compétences, à la vie du musée, apportant sa quote-part à l’activité d’une des quatre commissions : communication, pédagogie, évènements, conservation. Un comité scientifique reste vigilant pour l’ensemble des activités.
    Les visiteurs peuvent, sur rendez-vous, bénéficier de visites guidées. Autour de 10.000 passages annuels se répartissent entre enfants en découverte scolaire, jeunes – surtout avec un projet thématique ou au niveau de l’histoire de l’art – et adultes, seuls ou en groupes guidés. Il faut aussi mentionner les évènements portes ouvertes qui attirent le tiers des visiteurs par leur gratuité : pour les journées d’amitiés de la SMA, les journées du patrimoine, la nuit des musées.
    Le contact avec les universitaires et les grandes écoles fournit l’occasion, pour le directeur, de donner des causeries dans le domaine de l’anthropologie africaine, ce qui entraîne la participation de nombreux jeunes à des stages au sein du musée. Si ces étudiants amènent aussi de nombreux visiteurs parmi leurs amis, certains fidélisent leur participation à la vie du musée en devenant membres de l’Association de Gestion ; c’est une arrivée de nouvelles et jeunes compétences dont on ne peut que se réjouir. Signalons enfin la possibilité donnée aux chercheurs et lecteurs d’utiliser le fonds de bibliothèque spécialisé sur l’Afrique.
    En 1975, la Société des Missions Africaines réalise la rénovation dans la perspective d’« un musée post-colonial, scientifique et culturel » apte à proposer « la découverte de la richesse des cultures africaines à des publics variés ». Il est alors passé de la dénomination « Musée des Missions Africaines » à celle de « Musée Africain ». Cela s’est réalisé sous l’influence des directeurs du musée et des conseils provinciaux de la société durant les années 1979 -2000. Cette orientation trouve actuellement un large écho dans l’intérêt des spécialistes et du public pour les arts premiers et particulièrement les arts africains.
Adaptations
Durant les dernières années, de grands efforts on été entrepris pour donner plus de notoriété officielle et de rayonnement culturel et artistique au musée en allant dans le sens d’une gestion plus scientifique de l’ensemble des collections et d’une utilisation plus pédagogique de l’exposition des objets. Aujourd’hui, il apparaît évident que ce développement ne peut s’arrêter en chemin. Il demande toujours plus de personnel, de compétences et de moyens financiers.
Pour favoriser ce progrès, en août 2003, il a été envisagé de demander au ministère de la Culture et de la Communication le label « musée de France », créé par la loi du 4 janvier 2002. Dans ce but un « projet scientifique et culturel du Musée Africain » était rédigé pour fournir les données les plus précises possibles concernant le musée et ses capacités de développement en vue d’obtenir la démarche d’obtention. Mais, bien qu’elle ait reçu l’accord du conseil provincial, celle-ci n’a pas eu lieu, peut-être parce que l’appellation s’obtient à la suite d’une procédure lourde et codifiée par la loi et que les moyens manquaient pour finaliser le projet. En attendant de répondre au moins à l’essentiel des exigences en vue de l’obtention du label, le conseil d’administration a pensé faire reconnaître le Musée Africain « d’intérêt public » par l’administration fiscale en vue de recevoir des dons et d’émettre des reçus fiscaux.
 Ces considérations exigent également d’examiner les ressources en personnel et en moyens financiers. Aujourd’hui il ne reste dans la province que 16 missionnaires de moins de 60 ans. Aussi se pose la question de savoir de quelle manière introduire un personnel laïc qui soit en même temps qualifié et attentif à la Mission, respectueux du passé missionnaire de la SMA. De même, il faut se demander de quelles ressources disposera le musée pour assurer éventuellement un salaire à du personnel laïc. D’une manière ou d’une autre, ces questions se poseront dans les autres provinces et districts qui gèrent des musées. Par ailleurs, malgré une fréquentation régulièrement en progression, les ressources du musée ne couvrent pas ses dépenses de fonctionnement.
Pourtant, quelles que soient les solutions envisagées pour l’avenir du musée, des tâches indispensables à son existence et à l’amélioration de son fonctionnement s’imposent actuellement. Ainsi de l’identification et de la classification scientifiques d’absolument tous les objets – aujourd’hui un tiers est classé -, de la restauration de certains d’entre eux, d’un meilleur aménagement et d’une meilleure protection de la réserve des objets et de la sécurisation des vitrines où sont exposés les objets de grande valeur.

Au Indispensables aménagements   
Enfin, il faut déjà envisager des aménagements indispensables : un accès vraiment ouvert au grand public et une billetterie indépendante, un espace plus large pour les expositions temporaires et un ascenseur qui donne accès aux handicapés à tous les niveaux d’exposition. A cause de tout cela et si, pour une raison ou pour une autre, la Société des Missions Africaines ne peut plus faire fa&ce à l’existence du musée, se dessinera l’obligation de chercher des solutions du côté d’une tutelle ou d’une intégration dans le patrimoine de la ville de Lyon ou de la région Rhône-Alpes. Pour autant, il ne faudrait pas que la SMA perde entièrement son droit de propriété avec ce bien.
Michel Bonemaison, sma
 Page 26-27

Communiquer

Un des traits essentiels de l’être humain me paraît être sa capacité à communiquer. Ecouter et parler, dire et accueillir, être en relation avec l’autre, avec les autres, n’est-ce pas tout le dynamisme de la vie ? Lorsqu’à vingt quatre ans j’arrive sur la terre d’Afrique, j’ai plein d’outils dans ma besace pour aller à la rencontre d’une culture nouvelle, de moeurs et de coutumes différentes, et pourtant … J’aime raconter ce fait de vie qui a été capital dans mon éducation à l’accueil.

Au cœur de la nuit

La piste traverse le village, bonne occasion pour saluer l’u ou l’autre, ^prendre des nouvelles, témoigner d’un peu d’amitié et continuer la route. Ce dimanche après-midi, Bondé me rejoint à la sortie de sa petite localité : « Le Vieux te demande si tu seras là ce soir ». Ce n’est vraiment pas mon projet, tous le savent ici, mais l’invitation paraît évidente. Alors j’acquiesce. Je poursuis mon chemin, réalise la rencontre prévue et abrège mon séjour dans le secteur pour revenir sur mes pas et atteindre la maison du Vieux à la tombée de la nuit.
La réception est évidemment des plus simples et à la fois empreinte d’une grande cordialité. Un copieux repas m’est servi dans la petite case de paille qui vient d’être construite. Soixante kilomètres de vélomoteur valent mieux qu’un somnifère : je dors comme un loir. Lorsque Sani, le jeune fils du Vieux, vient m’appeler, il fait nuit noire. Il m’invite à le suivre hors du village qui, je le constate alors, est totalement désert. Quelques kilomètres de sentier nous amènent à ce lieu où tous les habitants de Wãradabu sont arrivés pour une cérémonie. Attendu, j’y suis le bienvenu ; une place de choix m’est attribuée au premier rang de cette assemblée où personne ne manque ; hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux, tous participent au rituel que je vois et reçois pour la première fois.
Au cœur de notre cercle, un petit brasier éclaire la scène, le célébrant capte toute l’attention de chacun, le Vieux semble présider. Héritier du fondateur du village, il vient de convoquer les siens à une démarche spirituelle dont j’ai tout à découvrir. Nous sommes en pleine saison sèche, au milieu de la nuit, au sein de la « forêt sacrée » ! La cérémonie bat son plein, l’effervescence s’accroît, les tam-tams rythment maintenant la danse qui relaie l’offrande, la foule est en liesse. Sani vient me libérer de la poussière ambiante : « La fête populaire ne peut rien t’apporter de plus, le Vieux te remercie de ta participation, viens, rentrons au village ».
En harmonie
Plusieurs mois passent, nombreuses sont les occasions de rencontre avec les uns et les autres. Ce matin, en venant à l’école, le jeune Sourokou me porte un message de son grand-père : « Le soir du prochain marché de Bembéréké, Debou (grand-père) reçoit tous ses petits enfants, il aimerait te les faire connaître tous ». C’est entendu, voilà une charmante soirée en perspective, et, pour le voyage, le jeune écolier profite même du porte- bagages de la mobylette.
Je me rends très vite compte que la réunion de tous les petits enfants n’est qu’un merveilleux prétexte pour relire le sens de la rencontre de l’autre nuit. En interrogeant les petits, Debou, le Vieux, plein de délicatesse à mon égard, m’introduit aux mystères de la pensée spirituelle de son peuple. En leur précisant les détails matériels des rites, il m’ouvre à l’intelligence, au sens de la liturgie que précédemment il me donnait de vivre. Ce noble vieillard assure l’éducation de ses descendants, par amitié il m’intègre au sein de sa famille. Il offre à son hôte la possibilité de vivre réellement en harmonie avec tout son peuple.
Lorsque Père Augustin Planque élabore son projet de Musée Africain, il le pense pour communiquer à propos des cultures africaines. Le 20 février 1861 il concrétise son objectif en écrivant la première de ses lettres requérant de ses missionnaires « des objets usuels pour faire connaître votre nouvelle patrie ».
Transmettre
Un siècle et demi plus tard le Musée Africain continue de remplir sa mission, moyen de communication bien vivant au service des cultures des peuples de l’Afrique occidentale subsaharienne. Nombreux sont les visiteurs dont la démarche est guidée par la découverte de l’art, voire de l’histoire de l’art. mais qui ne repart pas avec un regard renouvelé, un questionnement inattendu, un réel enrichissement<, La visite invite à la rencontre de domaine multiples et très variés tels l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la politique, l’histoire, l’éthique, l’esthétique, la spiritualité, etc. …
Les missionnaires qui, par le dons des objets semblables à ceux utilisés par le grand-père Debou, sont à l’origine des collections, ont eux-mêmes vécu ces dimensions durant leurs séjours sur les terres du Golfe de Guinée. Je cite pour exemple le journal bimensuel que lançait au Dahomey (Bénin actuel) le Père Francis Aupiais, « La Reconnaissance Africaine. Organe d’enseignement religieux et d’études historiques ». Il parut trois petites années, du 15 août 1925 au 1° décembre 1927, moment de l’élection de Père Aupiais comme provincial des Missions Africaines à Lyon. Le message est reçu, puisque l’un des rédacteurs, Paul Hazoumé, devient le premier grand écrivain dahoméen de langue française avec Le pacte du sang en 1936 et Doguicimien 1938. Ces œuvres relayent à leur manière la transmission de la sagesse africaine. La bibliothèque du Musée continue ce service en favorisant la lecture et la recherche.
Des recueils de récits historiques, de proverbes, de mythes, de légendes suivront sous la plume d’auteurs vraiment qualifiés. Ils donnent le meilleur de la culture de leurs peuples et permettent ainsi à l’autre de s’initier peu à peu à ce qui lui est étranger. Le Musée Africain bénéficie de ces messages et peut, grâce à eux, transmettre au mieux ce dont les objets sont porteurs sur le plan culturel. Les traditions africaines sont à l’ordre du jour.
Reconnaître
Les collections du Musée Africain ouvrent à tous un langage qui porte essentiellement sur le sens de la vie. Dans les cultures de ce continent, un objet est souvent, de façon symbolique, le support de l’une ou l’autre notion telle la puissance, la fécondité, la dimension spirituelle, etc. Pour permettre d’en partager les valeurs, de les vivre ensemble, certains marquent le rythme qui devient un langage communautaire pour toute société africaine. Ces objets sont par excellence ceux que nous appelons des instruments de musique.
Devant la vitrine des violons me revient en mémoire ma première veillée chez les Peulh en transhumance dans la campagne de Gbesakperu. Le campement, cases de fourches et de paille est des plus rudimentaires. La solitude de ce presque désert est amplifiée par la nuit de la saison sèche. Dans la cour formée par le cercle des tentes, les bêtes entravées sont au repos. Leur souffle régulier semble être le seul signe de vie qui entoure le petit groupe familial auquel je suis invité à me joindre. Yada, équipé de son petit violon, devient l’animateur d’une veillée qui pourrait s’éterniser tant le rythme et les sons deviennent envoûtants. Bercé par la mélodie, chacun, en groupe, se resitue solidaire de la nature, du cosmos. Le message passe : « le rude isolement de la transhumance n’est qu’un aspect de la vie ».
C’est aussi de la vie que parle le griot qui glorifie le roi, le notable ou l’hôte. Il est la mémoire de la société. Scandant le rythme, la mailloche frappe la peau tendue du tambour d’aisselle, les doigts du musicien tendent et relâchent les cordes du tam-tam ; qu’il chante ou qu’il proclame, historien reconnu, il prête sa voix aux récits qui construisent toute société. Dans d’autres circonstances, de leur son grave, les gros tambours suffisent à rythmer la cérémonie ; tout Africain sait reconnaître le message, qu’il vienne de la cour royale ou qu’il invite à accompagner un défunt dans son passage ultime. Il s’agit bien aussi du domaine spirituel lorsque les grelots ou les cloches tintent, nul ne l’ignore.
Oui, en Afrique aussi les objets parlent, et leurs voix rythment la vie quotidienne tout comme elles unifient la liesse populaire qui clôture chaque cérémonie. Conservés au Musée Africain, « objets inanimés vous avez donc une âme » !
Michel Bonemaison, sma
Lyon avril 2007.
 Réédition chez Maisonneuve et Larose, Paris, 1978.
 Une mention spéciale aux écrits de l’abbé Gabriel Kiti – deuxième prêtre dahoméen, né en 1900 -, parus dans La Reconnaissance Africaine, Les Missions catholiques, L’Echo des Missions Africaines de Lyon et L’Anthropos et rassemblés dans les Etudes Dahoméennes en janvier 1968 par l’IRAD sous l’égide du ministère de l’Education nationale et de la Culture.

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