Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

LE VODUN EN PAYS YORUBA

Angoulême jeudi 12 novembre 2009.

Ma reconnaissance aux organisateurs de cette manifestation autour de la Culture du Peuple Yoruba. Mon merci pour la qualité de la présentation, ma gratitude pour l’invitation que vous m’avez adressée me permettant d’exprimer un peu de ce que j’ai reçu des femmes et des hommes africains qui m’ont accueilli chez eux.

En 1986 Wole Soyinka est le premier ressortissant d’Afrique Sub-Saharienne à recevoir le prix Nobel de Littérature. Dans ses écrits il dénonce les « grandes humiliations » du monde noir : l’esclavage et la colonisation. Si je commence par mentionner Wole Soyinka c’est parce qu’il est Yoruba et que je sollicite la compagnie de ce grand chantre de la Paix pour traiter de notre sujet. En effet, à partir de la culture Yoruba, toute son œuvre met en exergue la contribution réelle et particulière du continent africain à la culture universelle. En outre les deux thématiques qu’il aborde sont étroitement liées à notre propre sujet de rencontre.

En ce qui me concerne, j’ai été accueilli trente années au Bénin, vivant chez les Baatombu proches du monde Yoruba (appelé Nago au Bénin). Grâce à leur savoir-vivre et à leur savoir-faire, j’ai pu progresser dans l’art de reconnaître l’Autre et développer mes compétences en anthropologie africaine. Quant à la présence à mes côtés de M. Abdel Aziz Assani, elle est aussi pleine de sens. M Assani est lui-même Yoruba et nous avons le bonheur de collaborer depuis maintenant plusieurs années au service de l’annonce des cultures africaines, ce qui nous a amené à travailler ensemble au sein du Musée Africain de Lyon.

J’ose dire que nous sommes un exemple de ce que Africains et Européens avons la capacité de parler ensemble de nos cultures réciproques, ce qui n’a pas toujours été le cas. Il est vrai que de toute part il y a encore du chemin à parcourir pour nous libérer de clichés souvent infamants et  pouvoir promener un regard objectif et plein de respect sur la culture d’autrui. Il nous arrivera de signaler la nécessité d’actualiser notre vocabulaire, voire de réajuster nos points de vue sur l’Autre, en l’occurrence l’homme Africain et sur ses Cultures.

Notre intervention sera donc à deux voix. M Assani aura le dernier mot pour se présenter et pour nous aider à entrer plus intimement au sein du Vodun dans le monde Yoruba. Moi-même je commence par garder la parole afin, d’une part, de présenter très brièvement une histoire de la réalité des cultes issus du Vodun à travers le monde et, d’autre part, de situer la démarche du Vodun dans la mouvance de la dynamique des cultures africaines en Afrique Occidentale sub-saharienne.

1.    Histoire.

•    Dahomey/Nigeria

Il est vrai que aujourd’hui il existe des pays distincts, en Afrique, et que l’on appelle des nations, à l’image de ce que nous connaissons en Europe, c’est le cas de deux pays voisins la République du Bénin et la République Fédérale du Nigéria, mais ne nous laissons pas abuser par le résultat d’une histoire récente, celle qui ne remonte qu’à la période coloniale.

•    Fon/Yoruba

Pour être objectif lorsque nous abordons l’histoire d’un Peuple africain, il est indispensable de relativiser la réalité des frontières qui délimitent le tracé des pays contemporains. Nous parlons du peuple nigérian et du peuple béninois dans la réalité des nations contemporaines et nous avons raison car il s’agit de la réalité sociopolitique pour aujourd’hui.

Mais il nous faut aussi savoir que chacune de ces nations est composée de nombreux peuples qui, chacun, a sa propre histoire et sa propre culture souvent très liée aussi à celle ses voisins. C’est ainsi que le Peuple YORUBA, (dont M Assani nous parlera longuement, en connaissance de cause, en seconde partie de cette rencontre,) vit actuellement réparti sur les deux territoires. Je signale pour mémoire que les Yoruba qui vivent à l’ouest et actuellement au Bénin, sont traditionnellement appelés Nago.

Un deuxième peuple nous intéresse car c’est par lui que fut connu le Vodun en Occident francophone. Ce sont les FON de l’aire géographique située au sud du Bénin dont le nom du terroir a donné un temps son nom au Dahomey. D’autres peuples situés plus à l’ouest au Togo et au Ghana ont aussi le Vodun pour religion traditionnelle.


•    Esclavage/Caraïbes

Et c’est là que doit être signalé la période historique dramatique qui est celle de la traite des noirs. Un des résultats nous intéresse au plus haut point puisque la plupart des populations africaines déplacées va transiter par le fort portugais de Ouidah, sur la côte atlantique des Royaumes de Dan.

La culture et la religion de leurs geôliers marquent profondément les esclaves. Ce séjour au pays du Vodun leur permet de se restructurer car ils y retrouvent leurs propres aspirations vécues par d’autres et selon des rites très approchants des leurs. Notons la capacité d’adaptation des hommes et femmes arrachés à leurs racines. Soulignons aussi la souplesse du culte et des rites façonnés par les nouveaux « fidèles ». Voilà une Religion Traditionnelle le Vodun qui, exportée tout azimut, connaît une audience étonnante partout où elle s’implante. En effet le phénomène « dit de syncrétisme » se poursuit avec l’intégration des rites et cultes des populations des lieux où arrivent les esclaves.

Précisons donc :
-    lorsque l’on parle de VAUDOU on pense au continent américain et aux Caraïbes, en particulier Haïti et Cuba.
-    ce Vaudou est appelé CANDOMBLE au Brésil….
-    aujourd’hui cette forme de religion traditionnelle africaine est devenue mondiale quant à la répartition de ses adeptes sur le globe.


1.    Religions Traditionnelles en Afrique.

o    Attention aux mots piégés par les clichés :

Ils sont employés scientifiquement, ils ont une réalité technique, (ethnographie, sociologie),  mais aujourd’hui, dans le langage courant, ils sont porteurs d’idéologies qui trahissent la pensée et desservent la réalité culturelle. Il nous faut faire un effort d’objectivité en employant un vocabulaire adéquat et actualisé.

Race, ethnie, clan, …             PEUPLE
Sorcier, féticheur, ….             PRÊTRE, MEDECIN, DEVIN
Fétichisme, animisme, paganisme …     RELIGION TRADITIONNELLE
                            ou RELIGION LOCALE

o    Une quête permanente toute en nuances: sera développée de manière particulière à propos du Vodun

LE SENS DE LA VIE: … s’interroger sur le sens de la vie est le propre de l’homme. Aucun peuple ne déroge à cette interrogation, même si chacun répond à sa manière. Pour les communautés humaines en Afrique cette quête initie un dynamisme extraordinaire et donne naissance à une quantité notable des cultes. Ces cultes sont le point de départ du développement de leurs cultures totalement imprégnées du relationnel vécu dans le culte.

L’ALTERITE: … la rencontre de l’autre, avec l’autre, est la dimension fondatrice des cultures africaines. L’autre est évidemment le plus proche et en même temps le groupe humain avec lequel on partage le quotidien. Et ce groupe humain est plus que le groupe sociologique imaginé en occident aujourd’hui ; l’Africain inclut « ceux de qui il a reçu la vie, les morts et les ancêtres ». Nous reviendrons sur cette dimension.
 Il existe aussi des puissances spirituelles, qui se rendent visibles ou non. Et au sommet de toute leur hiérarchie un Être Suprême, il en sera largement parlé à propos du Vodun. Ici je me réfère, par la linguistique, à cette altérité suprême que révère le peuple Baatonu : il le nomme GUSUNON de
-    guru le sommet, la montagne, le lieu élevé …
-    sunon du verbe être assis …
-    « celui qui est assis sur le lieu élevé » expression toute en nuances pour exprimer celui qui trône au-dessus de tout. A partir de cette reconnaissance peut se décliner chacune de ses « attributions ».
-    Il est évident que le groupe humain ne peut qu’être en relation avec cette valeur suprême quels que soient les intermédiaires dont il se sert pour le rencontrer ou lui échapper.

L’HARMONIE: … Au-delà des humains, et hors de la portée de l’Altérité Suprême, l’homme en Afrique est en contact permanent avec des Puissances qui sont d’un autre monde que le sien, ce sont les Esprits. Il arrive que ces Esprits prennent forme matérielle, végétale, animale, voire humaine, afin de communiquer avec les hommes pour leur transmettre un message, leur indiquer ce qu’ils ont à accomplir.
Il en ressort un aspect essentiel, une obligation incontournable pour le comportement, pour la vie en société ; c’est la nécessité de vivre en harmonie avec toutes ces dimensions évoquées, matérielle, spirituelle, avec la nature, avec les vivants, avec les morts, avec tout ce qui est autre. La quête d’harmonie est une des valeurs fondatrices de la vie en  Afrique.
(Un petit clin d’œil à nos efforts vers un retour à l’écologie !)

o    Protection: sera développée de manière particulière à propos du Vodun.

PRESENCE DES FORCES VISIBLES ET INVISIBLES :
On peut se demander alors s’il est si apaisant de vivre ainsi dans le cadre des sociétés traditionnelles qui paraissent être sous le joug de puissances nombreuses et très différentes, depuis les puissances bénéfiques jusqu’aux puissances maléfiques. Certaines délèguent même leur pouvoir aux hommes choisis et initiés. Alors que faire pour attirer sur soi les bénédictions et pour se protéger du mal ?

RITUELS :
La démarche est celle du groupe tout entier, ou de ses représentants dûment mandatés. Il s’agit de se mettre en relation avec l’au-delà ; là aussi il faudrait nuancer car chaque évènement appelle une attitude particulière, mais le projet est le même. Il s’agit de se concilier ce qui a barre sur la société humaine : la fécondité des humains ou de la terre, la santé, la clémence des saisons, la force des éléments naturels etc. …
Pour ce faire on signifie notre relation par une démarche cultuelle dont le rituel comprend la Parole, incantation, prière … et Offrande, oblat, sacrifice … qui est comme un substitut de notre propre disponibilité. Par là nous entrons dans le projet de vie de ceux dont nous dépendons ; ils ne peuvent que nous exaucer en nous protégeant et en nous donnant ce dont nous avons besoin.

o    Une réponse de l’au-delà : sera développée de manière particulière à propos du Vodun

PAR LES GUERISSEURS :
Tout ce qui touche à la vie est capital. Lorsque la santé n’est plus là, il y a rupture d’harmonie avec un élément. Il est donc urgent de reprendre contact avec celui qui détient la vie. La société est outillée pour pallier cette déficience, elle a ses spécialistes qui participent du « pouvoir » de cet Autre. Leur savoir-faire est reconnu ici-bas, ils sont tout autant médecins, que phytothérapeutes, que prêtres. Ici Culte et Culture se rejoignent et sont intimement liés. Nous sommes vraiment dans une démarche spirituelle.

PAR LES DEVINS :
Une autre dimension est assumée merveilleusement avec les mêmes critères de participation à la puissance de l’Altérité Suprême, c’est le suivi mental. Il ne s’agit pas d’annonce de l’avenir mais de restructuration mentale, spirituelle, de repositionnement dans le groupe humain. Les devins sont de véritables psychothérapeutes, efficaces dans le contexte culturel qui est celui de leurs patients.
Je mentionne le risque réel de manipulation dont on nous rebat les oreilles lorsqu’on nous parle de sorciers, de sorcellerie ne signalant en fait que les ratés maléfiques ; on peut dire la même chose pour les guérisseurs, en mentionnant leurs fétiches ou le poison, je ne l’occulte pas. 
Je m’étonne de ce que rarement la dimension spirituelle apparaisse dans les analyses sur la divination tant au sujet de nos sociétés occidentales que pour les sociétés traditionnelles.

PAR LES MASQUES :
Je pense que notre ami M Assani parlera des GELEDE et de OGUN, masques omniprésents dans les sociétés Yoruba.
La réponse de l’Au-delà peut arriver jusqu’à nous aussi par le truchement des sociétés de masques. Mais ce n’est pas le cas dans tous les groupes humains et pourtant la réponse est toujours donnée car chaque société veille jalousement à la transmission de ses valeurs.
Le masque est une personne morale, qui apparaît toujours en groupe, il appartient à une société d’initiés chargés de canaliser la vie du groupe humain dans lequel il est un simple citoyen les jours ordinaires. Ce qu’il transmet par la Parole, les Gestes, les Symboles de son accoutrement est Parole de Vie pour le Peuple auquel il s’adresse.


o    Des éléments fondateurs : sera développée de manière particulière à propos du Vodun

LES DEFUNTS, LES ANCÊTRES :

Le Peuple a déjà une expérience de longue haleine structurée par la recherche de l’harmonie. Nous sommes toujours redevables à ceux qui nous ont précédés, les plus proches dans le temps, ce sont nos défunts. S’ils ont bien transmis ce qu’ils ont eux-mêmes reçus nous sommes à même de les accompagner pour le grand et ultime passage qui n’est pas la mort mais le retour dans la société des ancêtres. Nous avons donc des devoirs à leur égard et ils ne seront en paix que lorsque nous aurons accomplis pour eux les rites de ce passage pour une vie sans fin.
Quant aux ancêtres, ils sont tous ceux que nous rejoindrons définitivement lorsque nous aurons achevé notre préparation sur terre. Certains des nôtres sont immédiatement reconnus comme ancêtres au vu de ce qu’ils ont accomplis pour leur peuple, en particulier les sages, les fondateurs de village, parfois des héros … Ils sont pour nous les plus proches de ce monde invisible, et ils savent tout de ce qui nous est nécessaire puisque ils ont vécu sur terre, comme nous aujourd’hui, la préparation la vie sans fin.

LES JUMEAUX :

La gémellité apparaît comme un signe de l’au-delà, mais ici plus que dans tout autre domaine il faut tenir de la pluralité des interprétations. Ce qui est certain et récurent c’est la Crainte révérencieuse qu’inspire la venue au monde des jumeaux. Il en sera parlé longuement pour le milieu spirituel du Vodun.
Ne généralisons pas dans notre réception de la gémellité: pour certains peuples les deux enfants sont les bienvenus et sont signe de la présence de l’altérité suprême, ailleurs l’un serait bien un être humain et l’autre un esprit qui se serait incarné par erreur, pour d’autres les deux sont réellement arrivés sur terre indûment et ils doivent retourner chez eux … on parlera alors de réparation.

LES ENFANTS NES HORS NORME :

C’est sur ce thème de la réparation que je terminerai mon exposé, laissant la place à vos questions et à M Assani pour son exposé sur la particularité qu’est le Vodun Yoruba.
En mettant au monde des enfants jumeaux la maman donne à son peuple l’occasion de se remettre en face de sa recherche d’harmonie, voire de la nécessaire démarche de protection. Pour ce faire on met en œuvre une série de rituels, d’offrandes, d’incantations … Il en est de même pour un certain nombre d’autres naissances (là encore sachons nuancer) qui arrivent en dehors des normes prévues par la société. Les enfants issus d’inceste, d’unions non reconnues par les anciens ou les lois, la venue avant terme, ou par le siège nécessitent des rituels de purification, de protection et la recherche de subterfuges pour que ces petits êtres ne nuisent pas à la société.
Il faut se souvenir que l’enfant est la richesse de la famille africaine et que le projet de vie de tous les peuples africains est bien la quête d’harmonie des humains avec toute la création et avec les puissances visibles et invisibles qui président à la sauvegarde de cette création.

Je vous remercie.

12 novembre 2009
Michel Bonemaison
Directeur honoraire
du Musée Africain de Lyon.

Notes :
1- Né en 1939 à Abeokuta, Nigeria. Œuvres maîtresses : Cet homme est mort 1972 ; Il te faut partir 2007.
2- azimuthcom@yahoo.fr
3- Musee-africain-lyon.org
4- Ancien Dahomey serait aujourd’hui peuplé de 8 millions d’habitants.
 5- La république constitutionnelle du Nigéria comprend 36 pays fédérés ; elle est peuplée de plus de 140 millions d’habitants.
6- Pierre Saulnier sma « Vodun et destinée humaine » 2009. Chez l’auteur  22, rue des Naudières BP 036  44401 Rezé cedex
7- Roots de Alex Haley 1976. « Racines ».
8-  Roger Bastide Le Candomblé Collection « terre humaine » chez Plon nouvelle édition 2001.