Libérer la parole qui est en nous

« En Afrique, toute assemblée a ses lois, la palabre a les siennes ; elles sont simples. Chacun à son tour est invité à s’exprimer ; tous ont le devoir d’écouter jusqu’au bout, sans interrompre ; nul n’est laissé pour compte. Il n’est pas nécessaire qu’un jugement soit porté. Après avoir siégé, tous peuvent repartir en paix, un pas est franchi. »
Règle n°1 : liberté de propos
Règle n°2 : bienveillance, écoute et respect
Règle n°3 : égalité de tous devant la question humaine.
Autant de valeurs que je souhaite vous faire partager à travers ce blog et avec l’aide de toutes vos contributions !

jeudi 26 mai 2011

La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes



« La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes »



‘Bonjour’ chers amis !
 
Vous m’avez invité à donner une « parole » en cette « journée mondiale de l’Afrique » sur le thème « La place des Africains dans la vie politique, culturelle et économique en France : exemple de la région Rhône-Alpes ». J’y suis très sensible et vous en remercie. Je ne puis aborder que le domaine de la culture, d’ailleurs si vous m’avez invité c’est au vu de mes sept années vécues ici en tant que directeur du « Musée Africain de Lyon » fleuron des cultures africaines en Europe depuis 1861.

Aujourd’hui il est de bon ton de souligner la « pluralité des cultures », mais à ne s’en tenir qu’à la diversité il y a risque de n’en apercevoir que des éléments seconds, que le superficiel et ainsi de tomber dans le folklore. L’exemple du « masque » en est des plus flagrants : qui est conscient de ce qu’il est « le passeur » d’une sagesse, de cette sagesse qui permet l’équilibre, l’harmonie de toute une société ? Les sociétés humaines en Afrique ont une multitude de moyens pour transmettre ainsi leur quête d’unité sociale ;  « la palabre » en est un autre exemple. Mais que saisit-on de la palabre africaine en occident ? A l’extrême limite, pour un béotien, le masque est un morceau de bois sculpté, la palabre est un temps de bavardage, voire de verbiage ! Qu’en est-il de la perception du domaine spirituel que l’un et l’autre transmettent ?

La connaissance de l’Afrique et de ses qualités a été apportée en Occident d’une part grâce à ses propres fils qui partaient « découvrir », tel l’explorateur René Caillé, ou « conquérir » ce que fit le général Jean-Baptiste Marchand que je cite car nous avons de très belles pièces dans ce musée qui relatent à son sujet la rencontre « Afrique - France » en l’occurrence lors de son passage en Côte d’Ivoire ; des hommes comme le Père Francis Aupiais ont apporté ‘autrement’ dans la « reconnaissance » des cultures africaines … la liste pourrait être longue de ces rencontres fructueuses.

Mais il nous faut aussi et surtout dire que aux mêmes époques les Africains étaient en Occident, amenés de force, considérés comme objets pour les mercantiles. Cette traite est à dénoncer, elle est une blessure que l’histoire doit retenir et condamner. Toutefois ce que je tiens à souligner et qui est essentiel pour nous aujourd’hui, c’est que la présence en Occident de ces êtres, hommes et femmes fragilisés par les déracinements, a suscité un intérêt et un respect croissant ; leurs danses, leurs chants, leurs sculptures, leurs peintures reçoivent aujourd’hui chez nous un écho indéniable. Toutes ces expressions de leur vitalité sont acquises au patrimoine mondial. Belle revanche n’est-ce pas ?

A l’heure actuelle c’est à vous, chers amis, de relever un autre défi ! De votre propre chef vous avez franchi les océans et vous partagez la vie des occidentaux en toute légalité tandis que, grâce aux média, le continent africain tout entier est proposé à l’appréciation du monde entier : guerres fratricides, corruption, misères de toutes sortes, famines, sécheresses, inondations, mais aussi, heureusement, constructions nationales, conférences internationales, avancées remarquables dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la prise de parole en politique etc.

Forts de cela vôtre rôle est, me semble-t-il, en particulier de monnayer la valeur de chacun de ces évènements pour que l’Occident entende l’Afrique, et la comprenne comme des Nations qui vivent, qui se construisent. Vous avez souvent un très haut niveau intellectuel reconnu par vos pairs en Occident, et d’autre part vous vivez, dans vos entrailles, de vos cultures originelles, soyez attentifs à nous offrir une lecture vraie de l’Afrique en ce qu’elle se construit aujourd’hui. Sachez être exigeants dans la transmission et la lecture des informations, ne vous laissez pas piéger par les mots des langues européennes car souvent ils ne sont pas corrects et estropient la pensée et la réalité africaines, héritage à revoir : masque, palabre, brousse, ethnie, race sont des mots piégés comme tant d’autres, parlons plutôt de peuples et de nations en avenir.

Pour terminer je me réfère à un article paru dans Le Monde signé par le chorégraphe franco-ivoirien M Alphonse TIEROU et je vous en livre ma réaction :

« Dans l’article remarquable sur « l’institution des masques » il est question d’un enseignement transmis par les masques eux-mêmes. Afin de pouvoir accréditer pour cet enseignement une dimension universelle, la dimension qui est la sienne, ce qui est dénoncé par Alphonse TIEROU au sujet du masque doit être dénoncé à l’encontre de toute dégradation, voire de toute destruction des institutions et de leurs manifestations sociales ou populaires, quelque soit l’origine des déprédateurs.

« Souligner avec Alphonse TIEROU le fait que des dignitaires et des personnalités de premier plan du monde politique et économique sont issus de « l’institution du masque » est à mes yeux une remarque  primordiale, point qui peut être essentiel dans la mise en œuvre d’une réelle évolution déjà fortement engagée en Afrique, en chacune des Nations contemporaines. Que des « porteurs de masques », véritables notables d’institutions ethniques arrivent à un haut niveau politique ou économique ou dans des services comme l’enseignement ou la santé, permet de nourrir l’espoir d’une évolution ouverte et salutaire. Il est à souhaiter que ces hommes et ces femmes sachent dépasser irrémédiablement les limites de leur propre ethnie, la considérant comme déjà un peuple en capacité de croissance ; en effet la croissance signifie non pas un développement exclusif de la culture ethnique mais une sortie pour chacun de sa propre culture  et pour tous un accueil commun de toutes les cultures locales en misant sur les lieux favorisant une harmonie renouvelée. Pourquoi l’instruction et la culture de ces serviteurs de l’Etat ne leur permet-elle pas ce genre de construction ?

« La réponse n’est pas aisée, et pourtant il faut une analyse exhaustive, cela est urgent pour la survie de notre continent africain. Elle n’est pas aisée car complexe, vu l’implication de l’histoire au niveau mondial, dans le temps et dans l’espace. Elle n’est pas aisée au vu aussi des bassesses courantes quand « service » signifie « égocentrisme » tant chez les grands de ce continent que ceux du dehors. Et là, je dénonce avec énergie car j’aime l’Afrique qui m’a tant donné et dont les Peuples savent si bien donner à qui sait les respecter.



Michel Bonemaison
Ancien directeur du Musée Africain
CA de la Société des Africanistes



mercredi 18 mai 2011

Le Musée Africain

Consacrée à Notre Dame de Fourvière le 8 décembre 1856 par un vicaire apostolique des Missions Etrangères de Paris (Monseigneur de Marion Brésillac) et un prêtre diocésain (Augustin Planque), la société des Missions Africaines de Lyon devient très rapidement un institut missionnaire international au service de l’Afrique. L’histoire va faire de cet institut le fondateur de l’Eglise en Afrique Occidentale. A l’heure de son 150° anniversaire, son « musée africain » abrite plusieurs collections de grande couleur.

Le Musée est presque né avec l’institut. Dès le début le Père Planque invitait les missionnaires à lui faire parvenir des objets qui pourraient faire connaître et aimer les populations chez qui ils résidaient. C’est donc une « collection de famille » qui est offerte aujourd’hui à notre regard, à notre méditation. Il y a bien des manières de se laisser interpeller par le contenu de ces vitrines situées 150 cours Gambetta à Lyon. Chaque objet peut être le support à une multitude de discours, que ce soit au niveau de l’art, de l’ethnologie, de l’anthropologie. A travers eux on apprend à rencontrer des cultures et l’on peut se laisser inviter à découvrir l’univers spirituel des Africains.

Lyon peut s’enorgueillir d’avoir des collections si bien mises en valeur au sein de sa cité. Ce patrimoine nous parle aussi de ces hommes et de ces femmes qui au long des années sont venus de toute la France, de l’Europe, pour recevoir une formation qui leur permette de partir à la rencontre des populations africaines. Parmi tous ces missionnaires, citons le Père Chabert qui a conçu le bâtiment actuel en donnant au Musée sa place centrale. Citons encore deux hommes que les Africains ont élus pour les représenter à la chambre des députés, le Père Francis Aupiais anthropologue de très haut niveau qui s’est épuisé à défendre la cause des Africains, et le Père Jacques Bertho directeur de l’enseignement catholique pour l’Afrique Occidentale. On doit au premier un grand nombre de statuettes fort intéressantes et au second une collection de photographies qui a permis aux scénographes de réaliser une merveilleuse présentation de thèmes proposés par les vitrines.

Etre invité à vivre quelques années la charge de direction du « Musée Africain » est une véritable grâce, celle de dire notre amour de l’Afrique à ceux qui l’aiment déjà pour de multiples raisons, mais aussi à ceux qui par le goût des rencontres ou le désir de se cultiver viennent passer quelques heures dans ce « sanctuaire de la vie africaine ». On ne ressort pas indemne d’une visite qu’elle soit libre ou guidée.

Sur 750 m², il présente à ses nouveaux visiteurs 2126 pièces (138 vitrines) en exposition permanente.

Au musée est adjointe la Bibliothèque Africaine, centre de documentation spécialisée sur l’Afrique, riche de 2500 volumes.

Michel Bonemaison, sma
Décembre 2004.

Comment s’est constitué le Musée Africain

Parler du Musée Africain c’est dire une partie importante du patrimoine africain lyonnais – et lyonnais depuis sa naissance. En effet à Sainte-Foy-Lès-Lyon, puis au quartier de la Guillotière s’implante le tout jeune institut missionnaire fondé en 1856 par un évêque, Mgr Melchior de Marion Brésillac, et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. L’histoire du Musée, c’est l’histoire d’hommes convaincus. A travers leur action se construit ce joyau patrimonial. Evoquons donc la figure de plusieurs de ces hommes tournés vers l’Afrique, avec l’originalité de leur regard sur ce continent.

De Melchior à Augustin

A l’époque, on appréhendait l’Afrique autrement. L’Occidental avait tout à découvrir lorsqu’il débarquait dans le Golfe de Guinée – partie ouest du continent, aussi appelée golfe du Bénin ou encore côte des Esclaves, selon l’angle par lequel il était abordé ! De  son côté, lorsqu’il fonde son institut missionnaire pour l’Afrique, de Marion Brésillac a déjà une grande expérience de la mission. Il vient de vivre en Inde douze années très riches en enseignement dans sa rencontre avec la société des castes. Il conseille à ses prêtres de ne plus être ni Français, ni Italien, ni Espagnol, mais de vivre une sortie de soi pour se faire tout à la culture des peuples qu’ils approchent.

« Il suggère à la Propagande de lui confier la juridiction du royaume du Dahomey, célèbre pour le commerce d’esclaves et les sacrifices humains. C’est un royaume qui présente des défis évidents et revêt l’avantage d’être authentiquement africain … On lui confie, au contraire, le vicariat apostolique de Sierra Leone regardé comme une mission plus sûre … » Cette terre ne sera pourtant guère hospitalière à la première équipe ; la fièvre jaune les emporte tous très rapidement entre le 2 et le 28 juin 1859, année de leur arrivée.

Le fondateur n’a pas le temps matériel d’initier une rencontre originale avec l’Afrique. Authentifié par Rome, le jeune père Planque (33 ans) prend la relève. Confiant en ses compétences, de Marion Brésillac lui avait écrit en cette année 1859 : « Si la mer et ses écueils voulaient que cette année fût la dernière, vous seriez là pour que l’œuvre ne fit pas naufrage ». Augustin Planque continue donc à appeler et à former à la vie missionnaire. Il collecte de l’argent pour envoyer et soutenir ceux qui rejoignent l’Afrique. Il assure par courrier le suivi de ses missionnaires ; c’est une mine pour saisir ce qui est vécu et ce qui se construit lentement dans la rencontre et des cultures et des religions. Il veut des hommes trempés, aguerris !

Les relations épistolaires revêtent une grande importance pour le Planque. Il a le souci de savoir, de connaître pour pouvoir dire et montrer l’Afrique aux Lyonnais, aux Occidentaux ; il désire les inviter à aller plus loin que la simple curiosité ! Il recommande à ses missionnaires d’ « envoyer toute espèce de choses du Dahomey : rien ne sera inutile, c’est avec les objets les plus simples qu’on se fait des amis … Accompagnez chaque chose de quelques mots de notice ». Cette lettre du 20 février 1861 est le texte fondateur du Musée Africain. Le 19 mai, il insiste à nouveau : « N’oubliez pas de nous envoyer par la première occasion, une collection de choses de votre nouvelle patrie. Nous voulons avoir dans notre musée tous vos dieux d’abord, des armes, des outils, des ustensiles de ménage ; en un mot rien ne doit y manquer ». Le musée peut se glorifier de répondre à ce souhait : répartis en trois étages, 2126 objets en exposition permanente occupent 140 vitrines, avec une exposition temporaire régulière qui peut couvrir 750 m².


L’appel aux femmes

Le 17 octobre 1861, le Père Planque s’adresse au Père Lafitte qui vient d’arriver au Dahomey. Pendant son séjour au grand séminaire de Lyon, Irénée Lafitte a montré beaucoup d’intérêt pour ce que l’on appelle les sciences humaines. Augustin Planque lui écrit donc : « Je vous rappelle toutes vos promesses de détails nombreux sur le Dahomey et sur l’envoi de curiosités du pays ; vous savez que toute chose, même la plus commune, provenant du Dahomey, est une curiosité pour nos musées ». Il a eu ainsi la satisfaction de repérer, parmi les aspirants, des confrères sachant apprécier la culture africaine et comprenant la nécessité de communiquer.

Toute cette démarche des pionniers à la rencontre « des peuples les plus abandonnés de l’Afrique » engendre des attitudes et des prises de conscience. Amenés à dire les besoins élémentaires leur permet de mieux vivre leur mission. Il nous faut des religieuses pour s’occuper des femmes, des jeunes filles, écrivent des hommes de terrain. Augustin Planque déploie toute son énergie pour répondre à leur attente. Voilà pourquoi, le 28 janvier 1868, s’embarquent les trois premières religieuses qui vont rejoindre la mission du Père Philibert Courdioux (1838 – 1898). Leur congrégation est basée à Lyon, ce sont les franciscaines de Couzon. « Immédiatement elles se mettent à l’œuvre, c’est-à-dire aux visites des cases, au rachat des petits esclaves, à l’organisation de l’école ». Et Augustin Planque d’ajouter : « Elles vont donner une grande vie aux premiers éléments de la mission, en relevant la femme et en permettant de fonder la véritable famille chrétienne par des mariages entre fidèles ».

Nombreux sont les objets qui en exposition permanente, disent la place de la femme dans la société africaine. Certains sont très évocateurs du respect conféré à la maternité. Fécondité et puissance participent de pair à la transmission et à la croissance de la vie dans l’équilibre harmonieux demandé par les ancêtres. Quant à ces petits esclaves qu’elles sont amenées à racheter, ils mentionnent cet immonde et intolérable commerce de l’être humain. Les missionnaires s’y sont attaqués, déployant une énergie inimaginable ; les écrits de l’un ou de l’autre relatent comment il s’embusquait pour détourner les colonnes d’esclaves qui étaient amenés vers les bateaux et leur faire manquer la date de l’embarcation.

Le 5 janvier 1861, trois prêtres s’embarquent à Toulon, les pères Borghero, Fernandez et Edde. Louis Edde meurt le 9 avril en cours de route, à Freetown, il a 24 ans. Ses compagnons débarquent le 18 avril sur la plage de Ouidah, au Dahomey. Francisco Fernandez meurt le 30 novembre 1863, à l’âge de 28 ans. Francesco Borghero est un érudit ; sa notoriété et sa pugnacité lui permettent de rencontrer le roi d’Abomey, en toute solennité, tout en imposant son refus de certains rites qu’il juge barbares. Dans son journal, écrit en français, il a des pages d’une terrible précision sur les sacrifices humains. En résonance voilà qui ramène à une lecture des chapiteaux du Moyen-âge : la main posée sur les têtes coupées des ennemis, pour dire l’appropriation par le vainqueur de toutes les qualités et pouvoir du vaincu. C’est ainsi que des gravures et des photos représentent des trônes de rois reposant sur les crânes de leurs ennemis vaincus.



Rencontre par la langue

Les peuples africains transmettent aussi des us et des coutumes qui interpellent par leur sagesse. C’est ainsi que, toujours au Musée Africain, on peut admirer un trône dont les quatre pieds sculptés représentent deux couples signifiant la transmission de la vie ; le roi veille ainsi à ce que fécondité et puissance soient en harmonie avec la vie que les ancêtres lèguent aux vivants.

Dès le début, les missionnaires s’efforcent d’apprendre les langues de ceux vers qui ils vont. Il leur faut écouter, noter, décrypter ; heureusement il y a souvent, parmi leurs proches, des Africains ayant eu des contacts avec des commerçants occidentaux, particulièrement de puis la fin du XVe siècle, avec les Portugais qui avaient établi nombre de comptoirs sur cette côte occidentale. Profitant de ces commodités, plusieurs s’attèlent à l’étude systématique ou du vocabulaire ou des formes littéraires, créant lexiques, dictionnaires ou grammaires. C’est le cas de Père Joseph Joulord, originaire d’Angers (1871 – 1951).

Connaître la langue de ses hôtes permet une rencontre des plus enrichissantes. Les missionnaires désirent partager leur savoir, c’est pourquoi ils se mettent à construire des écoles et consacrent, pour certains d’entre eux, beaucoup de temps à l’enseignement. Ainsi en est-il de Père Auguste Moreau (1847 – 1886). Natif de Combre, dans le diocèse de Lyon, il arrive à Elmina en Côte de l’Or (Ghana) le 18 mai 1880. Voici un extrait de sa première lettre : « Nous avons visité les anciens chefs et les principaux habitants de la ville. Nous avons été accueillis partout. Tout le monde savait déjà que nous devions venir et on demande quand nous devons commencer notre école. Hier le chef Accra Cokou nous a demandé si nous enseignerions le français ; il veut nous envoyer quelques-uns de ses enfants pour l’apprendre. A lui tout seul il peut fournir pour faire une grande classe : il a peut-être cinquante enfants … »

Haut niveau

L’effort vécu par les missionnaires est motivé par le souci qui les anime de donner la Bonne Nouvelle. Ils prennent les moyens de le faire en se faisant les plus proches possibles des populations. L’école d’une part, et la connaissance de la langue d’autre part, deviennent les deux moyens de se faire comprendre. La catéchèse en langue locale suscite chez Père Noël Baudin le besoin d’écrire un catéchisme en yoruba ; bien d’autres suivront – celui-là est consultable à la Bibliothèque du Musée. Parler la langue facilite l’écoute, met en confiance et permet des échanges de très haut niveau. Les Africains aiment initier à leurs démarches religieuses ceux qui les respectent. Le missionnaire catholique est ainsi impliqué dans une relation empreinte de délicatesse à l’égard des autres religions, même si parfois il doit parler selon les convictions de sa foi ! Nombreux sont les objets du Musée qui sont une référence au culte, aux rites, aux cérémonies religieuses traditionnelles.

Pour terminer, il convient de mentionner Père Jean-Marie Chabert (1874 – 1933) : en 1923, pendant son mandat de supérieur général, il conçoit l’espace du Musée dans le bâtiment actuel. A Père René Faurite (1941 – 2002) nous devons l’effort de modernisation qui aboutit à la muséographie offerte aujourd’hui. Puisse le Musée Africain rester dans la dynamique de ces géants de la rencontre avec l’Afrique !
Michel Bonemaison, sma


Michel Bonemaison est le directeur du Musée Africain de Lyon

Page 16-17

Ce que représente le Musée Africain

Désirer connaître la provenance des objets qui constituent les collections du Musée Africain est tout à fait légitime. On peut parfois regretter certains amalgames ; en effet, il arrive que des visiteurs condamnent, à son propos, « le pillage du tiers-monde » sans connaître la provenance réelle des collections. Fidèles au vœu d’Augustin Planque, les pères ont rapporté, ou envoyé, ce que leur offraient les Africains, ou ce qu’eux-mêmes achetaient. Pour sa part, Francis Aupiais a commandé de nombreux objets pour les expositions et les tournées qu’il a effectuées en France au début du XXe siècle ; aujourd’hui, bien placés parmi les joyaux du musée, ils illustrent les années vingt. Tout cela constitue les bases de recherches qui ne peuvent que se développer et qui conditionnent l’avenir du musée.

Comprendre de l’intérieur

Plus que des notices scientifiques, les écrits des missionnaires sont les récits de leur vie quotidienne. Ces petits cahiers d’écoliers sont de véritables archives pour un historien ; la relation des us et coutumes est écrite à la manière des ethnographes. Cette somme de documentation favorise le travail de la mission et est éditée dès janvier 1902 sous la forme d’un bulletin : L’Écho des Missions Africaines de Lyon. Le récit de tous ces contacts permet aujourd’hui aux jeunes chercheurs d’informer scientifiquement sur les objets. Ce fut le cas pour l’exposition, maintenant itinérante, sur les poids akan.

À propos de ce que représentent les objets présentés au musée, les remarques de Noël Baudin sma (1844 – 1887) sont précieuses. Il écrit à Augustin Planque : « Dans les premières années de mon séjour à la côte des Esclaves, le grand féticheur étant mort, on avait mis hors de sa case tous ses fétiches […] ; je demandais aux Noirs pourquoi ils traitaient ainsi leurs dieux, ils m’affirmèrent que les dieux n’y étaient plus ; alors toutes les statues et autres symboles des dieux, désormais inutiles, avaient été jetés hors de la case ». D’autres observations permettent de conclure que les objets, sortis de leur contexte, social, culturel, cultuel, sont totalement inefficaces. Pour répondre à la hantise de certains de nos contemporains, ils ne sont pas de ces « entités pleines de charges fastes ou néfastes » dont nous aurions à nous protéger. En créant ce musée, Augustin Planque voulait faire comprendre les peuples africains, dans le contexte et la mentalité de son époque - ce que nous continuons aujourd’hui avec d’autres instruments de compréhension et une autre mentalité.
La Société des Missions Africaines se sait investie de la mission de partager ce patrimoine africain et lyonnais. Pour beaucoup d’Occidentaux, l’histoire de l’art est la lucarne la plus accessible. Ce qu’ils entrevoient peut – pour qui le désire – amener à la rencontre de cultures et de cultes porteurs de valeurs et de contre-valeurs. Les accueillir objectivement, sans préjugé aucun, en brisant les clichés, ne serait-ce pas une occasion d’enrichissement ? La fréquentation des expositions organisées par le musée ne pourrait-elle pas susciter une rencontre bilatérale, une prise de conscience de ce que notre histoire commune avec le continent africain nous invite à construire maintenant ?
Au niveau de la recherche

Afin de répondre au mieux à toutes ces questions la société des Missions Africaines a mis en place, en 1990, une association loi 1901 pour gérer le musée. « Cette association a pour but le soutien de l’action du usée Africain de Lyon pour la promotion de l’art et de la culture des peuples de l’Afrique noire, et toute action se rapportant à cet objet, notamment sa gestion permanente » (article 2 : objet). A ce jour, ce sont près de cinquante adhérents qui participent, chacun à sa manière et selon ses compétences, à la vie du musée, apportant sa quote-part à l’activité d’une des quatre commissions : communication, pédagogie, évènements, conservation. Un comité scientifique reste vigilant pour l’ensemble des activités.
    Les visiteurs peuvent, sur rendez-vous, bénéficier de visites guidées. Autour de 10.000 passages annuels se répartissent entre enfants en découverte scolaire, jeunes – surtout avec un projet thématique ou au niveau de l’histoire de l’art – et adultes, seuls ou en groupes guidés. Il faut aussi mentionner les évènements portes ouvertes qui attirent le tiers des visiteurs par leur gratuité : pour les journées d’amitiés de la SMA, les journées du patrimoine, la nuit des musées.
    Le contact avec les universitaires et les grandes écoles fournit l’occasion, pour le directeur, de donner des causeries dans le domaine de l’anthropologie africaine, ce qui entraîne la participation de nombreux jeunes à des stages au sein du musée. Si ces étudiants amènent aussi de nombreux visiteurs parmi leurs amis, certains fidélisent leur participation à la vie du musée en devenant membres de l’Association de Gestion ; c’est une arrivée de nouvelles et jeunes compétences dont on ne peut que se réjouir. Signalons enfin la possibilité donnée aux chercheurs et lecteurs d’utiliser le fonds de bibliothèque spécialisé sur l’Afrique.
    En 1975, la Société des Missions Africaines réalise la rénovation dans la perspective d’« un musée post-colonial, scientifique et culturel » apte à proposer « la découverte de la richesse des cultures africaines à des publics variés ». Il est alors passé de la dénomination « Musée des Missions Africaines » à celle de « Musée Africain ». Cela s’est réalisé sous l’influence des directeurs du musée et des conseils provinciaux de la société durant les années 1979 -2000. Cette orientation trouve actuellement un large écho dans l’intérêt des spécialistes et du public pour les arts premiers et particulièrement les arts africains.
Adaptations
Durant les dernières années, de grands efforts on été entrepris pour donner plus de notoriété officielle et de rayonnement culturel et artistique au musée en allant dans le sens d’une gestion plus scientifique de l’ensemble des collections et d’une utilisation plus pédagogique de l’exposition des objets. Aujourd’hui, il apparaît évident que ce développement ne peut s’arrêter en chemin. Il demande toujours plus de personnel, de compétences et de moyens financiers.
Pour favoriser ce progrès, en août 2003, il a été envisagé de demander au ministère de la Culture et de la Communication le label « musée de France », créé par la loi du 4 janvier 2002. Dans ce but un « projet scientifique et culturel du Musée Africain » était rédigé pour fournir les données les plus précises possibles concernant le musée et ses capacités de développement en vue d’obtenir la démarche d’obtention. Mais, bien qu’elle ait reçu l’accord du conseil provincial, celle-ci n’a pas eu lieu, peut-être parce que l’appellation s’obtient à la suite d’une procédure lourde et codifiée par la loi et que les moyens manquaient pour finaliser le projet. En attendant de répondre au moins à l’essentiel des exigences en vue de l’obtention du label, le conseil d’administration a pensé faire reconnaître le Musée Africain « d’intérêt public » par l’administration fiscale en vue de recevoir des dons et d’émettre des reçus fiscaux.
 Ces considérations exigent également d’examiner les ressources en personnel et en moyens financiers. Aujourd’hui il ne reste dans la province que 16 missionnaires de moins de 60 ans. Aussi se pose la question de savoir de quelle manière introduire un personnel laïc qui soit en même temps qualifié et attentif à la Mission, respectueux du passé missionnaire de la SMA. De même, il faut se demander de quelles ressources disposera le musée pour assurer éventuellement un salaire à du personnel laïc. D’une manière ou d’une autre, ces questions se poseront dans les autres provinces et districts qui gèrent des musées. Par ailleurs, malgré une fréquentation régulièrement en progression, les ressources du musée ne couvrent pas ses dépenses de fonctionnement.
Pourtant, quelles que soient les solutions envisagées pour l’avenir du musée, des tâches indispensables à son existence et à l’amélioration de son fonctionnement s’imposent actuellement. Ainsi de l’identification et de la classification scientifiques d’absolument tous les objets – aujourd’hui un tiers est classé -, de la restauration de certains d’entre eux, d’un meilleur aménagement et d’une meilleure protection de la réserve des objets et de la sécurisation des vitrines où sont exposés les objets de grande valeur.

Au Indispensables aménagements   
Enfin, il faut déjà envisager des aménagements indispensables : un accès vraiment ouvert au grand public et une billetterie indépendante, un espace plus large pour les expositions temporaires et un ascenseur qui donne accès aux handicapés à tous les niveaux d’exposition. A cause de tout cela et si, pour une raison ou pour une autre, la Société des Missions Africaines ne peut plus faire fa&ce à l’existence du musée, se dessinera l’obligation de chercher des solutions du côté d’une tutelle ou d’une intégration dans le patrimoine de la ville de Lyon ou de la région Rhône-Alpes. Pour autant, il ne faudrait pas que la SMA perde entièrement son droit de propriété avec ce bien.
Michel Bonemaison, sma
 Page 26-27

Communiquer

Un des traits essentiels de l’être humain me paraît être sa capacité à communiquer. Ecouter et parler, dire et accueillir, être en relation avec l’autre, avec les autres, n’est-ce pas tout le dynamisme de la vie ? Lorsqu’à vingt quatre ans j’arrive sur la terre d’Afrique, j’ai plein d’outils dans ma besace pour aller à la rencontre d’une culture nouvelle, de moeurs et de coutumes différentes, et pourtant … J’aime raconter ce fait de vie qui a été capital dans mon éducation à l’accueil.

Au cœur de la nuit

La piste traverse le village, bonne occasion pour saluer l’u ou l’autre, ^prendre des nouvelles, témoigner d’un peu d’amitié et continuer la route. Ce dimanche après-midi, Bondé me rejoint à la sortie de sa petite localité : « Le Vieux te demande si tu seras là ce soir ». Ce n’est vraiment pas mon projet, tous le savent ici, mais l’invitation paraît évidente. Alors j’acquiesce. Je poursuis mon chemin, réalise la rencontre prévue et abrège mon séjour dans le secteur pour revenir sur mes pas et atteindre la maison du Vieux à la tombée de la nuit.
La réception est évidemment des plus simples et à la fois empreinte d’une grande cordialité. Un copieux repas m’est servi dans la petite case de paille qui vient d’être construite. Soixante kilomètres de vélomoteur valent mieux qu’un somnifère : je dors comme un loir. Lorsque Sani, le jeune fils du Vieux, vient m’appeler, il fait nuit noire. Il m’invite à le suivre hors du village qui, je le constate alors, est totalement désert. Quelques kilomètres de sentier nous amènent à ce lieu où tous les habitants de Wãradabu sont arrivés pour une cérémonie. Attendu, j’y suis le bienvenu ; une place de choix m’est attribuée au premier rang de cette assemblée où personne ne manque ; hommes et femmes, enfants, jeunes et vieux, tous participent au rituel que je vois et reçois pour la première fois.
Au cœur de notre cercle, un petit brasier éclaire la scène, le célébrant capte toute l’attention de chacun, le Vieux semble présider. Héritier du fondateur du village, il vient de convoquer les siens à une démarche spirituelle dont j’ai tout à découvrir. Nous sommes en pleine saison sèche, au milieu de la nuit, au sein de la « forêt sacrée » ! La cérémonie bat son plein, l’effervescence s’accroît, les tam-tams rythment maintenant la danse qui relaie l’offrande, la foule est en liesse. Sani vient me libérer de la poussière ambiante : « La fête populaire ne peut rien t’apporter de plus, le Vieux te remercie de ta participation, viens, rentrons au village ».
En harmonie
Plusieurs mois passent, nombreuses sont les occasions de rencontre avec les uns et les autres. Ce matin, en venant à l’école, le jeune Sourokou me porte un message de son grand-père : « Le soir du prochain marché de Bembéréké, Debou (grand-père) reçoit tous ses petits enfants, il aimerait te les faire connaître tous ». C’est entendu, voilà une charmante soirée en perspective, et, pour le voyage, le jeune écolier profite même du porte- bagages de la mobylette.
Je me rends très vite compte que la réunion de tous les petits enfants n’est qu’un merveilleux prétexte pour relire le sens de la rencontre de l’autre nuit. En interrogeant les petits, Debou, le Vieux, plein de délicatesse à mon égard, m’introduit aux mystères de la pensée spirituelle de son peuple. En leur précisant les détails matériels des rites, il m’ouvre à l’intelligence, au sens de la liturgie que précédemment il me donnait de vivre. Ce noble vieillard assure l’éducation de ses descendants, par amitié il m’intègre au sein de sa famille. Il offre à son hôte la possibilité de vivre réellement en harmonie avec tout son peuple.
Lorsque Père Augustin Planque élabore son projet de Musée Africain, il le pense pour communiquer à propos des cultures africaines. Le 20 février 1861 il concrétise son objectif en écrivant la première de ses lettres requérant de ses missionnaires « des objets usuels pour faire connaître votre nouvelle patrie ».
Transmettre
Un siècle et demi plus tard le Musée Africain continue de remplir sa mission, moyen de communication bien vivant au service des cultures des peuples de l’Afrique occidentale subsaharienne. Nombreux sont les visiteurs dont la démarche est guidée par la découverte de l’art, voire de l’histoire de l’art. mais qui ne repart pas avec un regard renouvelé, un questionnement inattendu, un réel enrichissement<, La visite invite à la rencontre de domaine multiples et très variés tels l’anthropologie, la sociologie, l’économie, la politique, l’histoire, l’éthique, l’esthétique, la spiritualité, etc. …
Les missionnaires qui, par le dons des objets semblables à ceux utilisés par le grand-père Debou, sont à l’origine des collections, ont eux-mêmes vécu ces dimensions durant leurs séjours sur les terres du Golfe de Guinée. Je cite pour exemple le journal bimensuel que lançait au Dahomey (Bénin actuel) le Père Francis Aupiais, « La Reconnaissance Africaine. Organe d’enseignement religieux et d’études historiques ». Il parut trois petites années, du 15 août 1925 au 1° décembre 1927, moment de l’élection de Père Aupiais comme provincial des Missions Africaines à Lyon. Le message est reçu, puisque l’un des rédacteurs, Paul Hazoumé, devient le premier grand écrivain dahoméen de langue française avec Le pacte du sang en 1936 et Doguicimien 1938. Ces œuvres relayent à leur manière la transmission de la sagesse africaine. La bibliothèque du Musée continue ce service en favorisant la lecture et la recherche.
Des recueils de récits historiques, de proverbes, de mythes, de légendes suivront sous la plume d’auteurs vraiment qualifiés. Ils donnent le meilleur de la culture de leurs peuples et permettent ainsi à l’autre de s’initier peu à peu à ce qui lui est étranger. Le Musée Africain bénéficie de ces messages et peut, grâce à eux, transmettre au mieux ce dont les objets sont porteurs sur le plan culturel. Les traditions africaines sont à l’ordre du jour.
Reconnaître
Les collections du Musée Africain ouvrent à tous un langage qui porte essentiellement sur le sens de la vie. Dans les cultures de ce continent, un objet est souvent, de façon symbolique, le support de l’une ou l’autre notion telle la puissance, la fécondité, la dimension spirituelle, etc. Pour permettre d’en partager les valeurs, de les vivre ensemble, certains marquent le rythme qui devient un langage communautaire pour toute société africaine. Ces objets sont par excellence ceux que nous appelons des instruments de musique.
Devant la vitrine des violons me revient en mémoire ma première veillée chez les Peulh en transhumance dans la campagne de Gbesakperu. Le campement, cases de fourches et de paille est des plus rudimentaires. La solitude de ce presque désert est amplifiée par la nuit de la saison sèche. Dans la cour formée par le cercle des tentes, les bêtes entravées sont au repos. Leur souffle régulier semble être le seul signe de vie qui entoure le petit groupe familial auquel je suis invité à me joindre. Yada, équipé de son petit violon, devient l’animateur d’une veillée qui pourrait s’éterniser tant le rythme et les sons deviennent envoûtants. Bercé par la mélodie, chacun, en groupe, se resitue solidaire de la nature, du cosmos. Le message passe : « le rude isolement de la transhumance n’est qu’un aspect de la vie ».
C’est aussi de la vie que parle le griot qui glorifie le roi, le notable ou l’hôte. Il est la mémoire de la société. Scandant le rythme, la mailloche frappe la peau tendue du tambour d’aisselle, les doigts du musicien tendent et relâchent les cordes du tam-tam ; qu’il chante ou qu’il proclame, historien reconnu, il prête sa voix aux récits qui construisent toute société. Dans d’autres circonstances, de leur son grave, les gros tambours suffisent à rythmer la cérémonie ; tout Africain sait reconnaître le message, qu’il vienne de la cour royale ou qu’il invite à accompagner un défunt dans son passage ultime. Il s’agit bien aussi du domaine spirituel lorsque les grelots ou les cloches tintent, nul ne l’ignore.
Oui, en Afrique aussi les objets parlent, et leurs voix rythment la vie quotidienne tout comme elles unifient la liesse populaire qui clôture chaque cérémonie. Conservés au Musée Africain, « objets inanimés vous avez donc une âme » !
Michel Bonemaison, sma
Lyon avril 2007.
 Réédition chez Maisonneuve et Larose, Paris, 1978.
 Une mention spéciale aux écrits de l’abbé Gabriel Kiti – deuxième prêtre dahoméen, né en 1900 -, parus dans La Reconnaissance Africaine, Les Missions catholiques, L’Echo des Missions Africaines de Lyon et L’Anthropos et rassemblés dans les Etudes Dahoméennes en janvier 1968 par l’IRAD sous l’égide du ministère de l’Education nationale et de la Culture.

Lyon, tremplin pour les échanges missionnaires.

Une année de la mission.
MISSI avril – mai - juin 2006 n°94


Une perception de la mission à travers le Musée Africain de Lyon.

    Le terme missionnaire semble véhiculer des clichés bien surannés : le casque colonial, la barbe, la moto et, pire, le prosélytisme ! Que de fois l’on entend affirmer tout de go : « vous avez détruit les cultures africaines, vous avez imposé votre religion ! » Dans le même temps, qui n’est pas investi d’une mission politique, diplomatique, de développement, ou sociale et caritative, toujours reconnue d’utilité publique ? Pourquoi une mission d’ordre spirituelle ne serait-elle pas tout aussi honorable ? Si l’on apprécie un peu les données de l’histoire, quel que soit le domaine que l’on aborde, on sait très bien qu’il y a un danger à éviter absolument, c’est celui des jugements anachroniques. C’est vrai que chaque époque commet ses erreurs et agit dans l’imperfection ; combien est-il important de dénoncer ces égarements.

L’origine de la mission

    Pour nous, chrétiens, la mission a son fondement en Jésus de Nazareth ; lui-même tient sa mission de son Père. Envoyé du Père il a pour projet de dire que Dieu est Amour ; il réalise ce projet en étant lui-même amour ; plein de respect pour chacun il se fait le frère de tous. A l’imitation de ce Jésus de Nazareth, le disciple est invité à se mettre en route, à aller à la rencontre de l’autre, à sortir de lui-même pour témoigner d’un amour plus grand que lui, d’un amour qui le dépasse et qui englobe toute l’humanité. Ce vécu de la mission est une des exigences qui découle du baptême offert par la famille du ressuscité. Vivre ainsi la fraternité en Christ devrait être le  pain quotidien de chaque chrétien !

    Depuis sa fondation l’Eglise a envoyé ses fidèles aux quatre coins du monde. Aujourd’hui encore elle nous invite à vivre la fraternité chrétienne en allant au-delà des réalités du quotidien, en quittant notre culture ; elle nous permet d’aller à la rencontre de l’étranger qui vit chez nous. Apprendre à rencontrer l’autre, en l’accueillant dans ses différences et en allant au-delà de ces différences, voilà une des dimensions de la mission. Cheminer avec lui sur nos sentiers ; mais aussi aller prendre la route ailleurs, apprenant à cheminer sur les chemins des autres ! Prendre leur rythme, emboîter leur pas et savoir attendre leur questionnement pour être un jour invité à dire les valeurs qui nous animent, c’est une sortie de nous-mêmes à laquelle nous convie notre baptême.

     L’Eglise continue d’envoyer les siens hors de leur terre natale à la rencontre des peuples, des cultures, des religions. Préparé à la mission de l’Eglise au sein de ma famille missionnaire, les Missions Africaines de Lyon, sma, j’ai eu le bonheur, de 1965 à 1998, de partager les joies, les soucis, les peines, les espoirs de milliers d’hommes et de femmes, en Afrique et en Amérique latine. Pour moi, bonheurs et difficultés, tout ensemble, furent l’occasion de mûrir, de construire dans la paix et l’espérance. Une grande joie s’y ajoute, celle d’avoir vu naître la fraternité au nom de Jésus, l’Eglise. Aujourd’hui c’est toute cette richesse que la sma m’invite à transmettre en me confiant la valorisation de l’un de ses joyaux : le Musée Africain de Lyon.


Une histoire d’amour

    Né de la volonté des fondateurs de la sma, ce musée propose aujourd’hui plus de 2000 objets à la contemplation des visiteurs, des étudiants, des chercheurs, des familles, des écoles et des collèges, avec pour appui scientifique une bibliothèque spécialisée. « Ramenez des objets qui fassent connaître la manière de vivre de ceux qui vous accueillent », demandait le P. Augustin Planque à ses premiers missionnaires. C’est ainsi que beaucoup rapportèrent ce que leur offraient les Africains, en signe d’amitié et de confiance. Une deuxième étape permettra de constituer progressivement ces riches collections ; dans un souci fraternel les pères ont déposé ces cadeaux à la maison mère, cours Gambetta à Lyon.

    C’est avec chacun de vous, visiteurs, que nous vivons la nouvelle étape en apprenant à écouter les cultures que représentent ces objets, en accueillant les sagesses qu’ils nous proposent, en nous préparant à vivre en harmonie avec les populations qui rejoignent nos contrées natales. Voilà à nouveau une belle histoire d’amour en perspective !

    Chaque visiteur vient avec son projet, glanant ce qui peut l’enrichir, avec une requête à sa mesure. Nous sommes là pur l’accueil, pour l’accompagnement avec pour support à nos paroles des objets cultuels de l’Afrique occidentale subsaharienne. Nous essayons de partager les valeurs sur le plan humain ; si l’on aborde aussi la dimension spirituelle des traditions africaines, ce qui occupe parfois notre propos, ce sont les cheminements des hommes dans leur quête vers l’au-delà : les religions traditionnelles, les islams, les christianismes … Le musée devient alors un lieu où l’on manifeste un grand respect de la démarche de chacun.


Questions

    En équipe nous accueillons les visiteurs ; nous venons d’horizons très différents, toutes générations confondues. Notre contact avec les cultures  africaines est lui aussi réellement diversifié, tandis que notre souci commun est de dire l’Afrique et les Africains dans leur volonté de construire leur avenir. Cette ouverture suppose de la part de tous un effort de formation. Nous nous en donnons les moyens au sein d’une société vieille de quinze ans : l’Association de Gestion du Musée Africain de Lyon, l’AGMAL.

    A l’aide de quelques vitrines, nous en venons aux questions les plus récurrentes chez les visiteurs.

Ainsi de l’esclavage : des entraves de pieds et de cou, un pistolet et des cornes à poudre, de la belle pacotille, colliers de perles et potiches, voilà qui évoque sobrement l’horreur des rapports humains, hier ! Ne convient-il pas d’en tenir compte aujourd’hui pour apprendre à construire ensemble avec respect et discernement ?

En ce qui concerne la colonisation, une porte de maison baoulé (Côte d’Ivoire) exprime une sagesse par la disproportion des personnages sculptés dans le bois. En effet l’étranger qui vient à nous doit être animé par un message important s’il a vécu un tel déplacement. L’hôte est à l’honneur au centre et il est immense tandis que les deux porteurs, africains, sont petits et tout à son service, prêts à accueillir la parole de sagesse qui est venue à eux. Que symbolise alors la hyène ? Belle page d’histoire, voire de philosophie !
Le pouvoir ou l’administration, l’organisation militaire et l’apport de la religion chrétienne. Le message valait-il le déplacement ? Quelles valeurs ont été reçues, voire mises en œuvre ? Chaque élément bien remis dans son contexte facilite le questionnement.

Quant à l’au-delà, le visiteur est immédiatement alerté par la symbolique sculptée, peinte ou pyrogravée sur chacun des objets les plus usuels : plusieurs dimensions s’entrecroisent, la matérialité du geste à accomplir et l’au-delà du regard se côtoient. Que ce soit à la maison, à l’atelier, aux champs, à la pêche, à la chasse il est ainsi ; nous sommes en Afrique !
Juste à côté de la porte baoulé un ensemble de portes de greniers : par leur message sur la vie transmise et entretenue par les ancêtres, elles semblent écrire une page de métaphysique, une vision sur l’avenir !
C’est de ce dialogue permanent avec l’au-delà, voire avec la divinité, que parle le troisième niveau, entre statuettes et masques, serviteurs de tous les grands moments de la vie sociale et familiale. J’aimerais vous dire : « Venez et voyez ».


Inculturation

    C’est dans ce domaine du « dialogue avec l’invisible » que quelques magnifiques sculptures apportent un élément de réponse au bien-fondé de la rencontre des cultures ; elle n’est pas qu’un choc ! Quelle joie de pouvoir admirer l’inventivité due à l’apport mutuel ; écoutons les personnages adeptes du Vodun et allons contempler la statuette travaillée dans le bois par l’artiste de Kétou pour dire la Vierge du Fiat. Quelle évidence : un message nouveau est transmis dans le langage habituel des populations locales !

    Tout simplement pour clamer qu’un visage de la mission aujourd’hui peut passer par la muséographie.

P. Michel Bonemaison, sma

Le Père Michel Bonemaison est responsable du Musée Africain formé par des générations de ses confrères. Complètement rénové, ce bâtiment accueille également des expositions temporaires et toutes sortes de manifestations permettant de mieux comprendre la culture africaine dans ses diverses dimensions, dont la religieuse.

Le Musée Africain de Lyon D’hier à aujourd’hui

REVUE : Histoire et Missions Chrétiennes 2007.

MICHEL BONEMAISON


Le musée du 150 cours Gambetta à Lyon constitue une partie importante du patrimoine africain de cette ville, et cela depuis sa naissance. En effet, c’est à Sainte-Foy-lès-Lyon, puis au quartier de la Guillotière, que s’implantait le tout jeune institut missionnaire fondé en 1856 par un évêque des missions étrangères de Paris, Monseigneur de Marion Brésillac, et son premier compagnon prêtre, Augustin Planque. L’histoire du musée renvoie à l’histoire des hommes convaincus qui se sont engagés à leur suite en terre africaine et au regard qu’ils ont porté sur ce continent. Ont-ils eu un regard original ? Ont-ils regardé cette partie du continent africain où ils débarquaient — le Golfe de Guinée, appelé parfois Golfe du Bénin ou encore Côte des Esclaves — autrement que les autres Européens ? Leur histoire nous renseigne, mais nous parlent aussi les objets eux-mêmes qu’ils ont rapportés et qui constituent les collections du musée actuel…


Un projet visionnaire qui prend corps en 1861


Lorsqu’il fonde à Lyon son institut missionnaire pour l’Afrique, Monseigneur de Marion Brésillac a déjà une grande expérience de la mission. Il vient de vivre douze années en Inde. Sa rencontre avec la société des castes est un riche enseignement qu’il sait mettre à profit pour la mise en route de son nouvel institut. Il conseille à ses prêtres de ne plus être ni Français, ni Italien ou Espagnol, mais de vivre une sortie, de s’ouvrir à la culture des peuples qu’ils approchent.
Le fondateur meurt de maladie quelques semaines après son arrivée en Sierra Leone ; il n’a pas le temps matériel d’initier une rencontre originale avec l’Afrique. Le jeune père Planque — il a 33 ans —, est préparé à prendre la relève. Confiant en ses compétences, Mgr de Brésillac lui avait écrit en 1859 : « Si la mer et ses écueils voulaient que cette année fût la dernière, vous seriez là pour que l’œuvre ne fît pas naufrage  ».
À partir de Lyon, Planque continue donc à appeler et à former à la vie missionnaire. Il collecte de l’argent pour envoyer et soutenir ceux qui rejoignent l’Afrique. Il assure par courrier le suivi de ses missionnaires ; ces lettres sont une mine pour saisir, et le vécu, et ce qui se construit lentement dans la rencontre à la fois des cultures et des religions. Certains de nos contemporains soulignent volontiers le « choc des cultures »  — et pas sans raison — mais les lettres de l’époque témoignent aussi de la qualité des rencontres entre les missionnaires et les Africains.
Les relations épistolaires revêtent une grande importance pour Augustin Planque. Il a le souci de savoir, de connaître, pour pouvoir dire et montrer l’Afrique aux Lyonnais, aux Occidentaux ; il désire les inviter tous à aller plus loin que la simple curiosité ! Dans une lettre du 20 février 1861, il recommande à ses missionnaires « de nous envoyer toute espèce de choses du Dahomey : rien ne sera inutile, c’est avec les objets les plus simples qu’on se fait des amis. […] Accompagnez chaque chose de quelques mots de notice ». C’est moi qui souligne pour montrer déjà le sérieux avec lequel A. Planque organise le Musée naissant : cette lettre me semble, en effet, être le texte fondateur du Musée Africain. Le 19-25 mai de la même année, il insiste à nouveau :
« N’oubliez pas de nous envoyer, par la première occasion, une collection de choses de votre nouvelle patrie. Nous voulons avoir dans notre musée  tous vos dieux d’abord, des armes, des outils, des ustensiles de ménage ; en un mot rien ne doit y manquer. »
Ainsi est bien précisée l’orientation qu’il entend donner : il insiste sur le contexte culturel requérant à la fois des informations sur le quotidien, la vie de famille, les activités agricoles, la chasse, et aussi les liens avec l’invisible. Cette lettre sera suivie de deux autres, parlant de la fondation du Musée avant la fin de la même année. Le Musée voulu par Augustin Planque propose, pour note spécifique, l’ouverture exclusive à l’Afrique.
En 2007, le Musée Africain à Lyon peut se glorifier de répondre au souhait d’Augustin Planque : répartis sur trois étages, 2 126 objets en exposition permanente occupent 140 vitrines. Une exposition recouvrant 750 m² propose au visiteur une progression
« à travers diverses facettes de la culture de l’Afrique occidentale subsaharienne : vie quotidienne, vie sociale et vie religieuse… Les objets ne sont pas regardés pour eux-mêmes, pour le simple plaisir des yeux. Ils sont avant tout des témoins chargés de sens. Je parle ici de la dimension culturelle, qui est tout autant du domaine cultuel, mais il n’est absolument pas question de référence à l’ésotérisme. Ces objets nous invitent à porter le regard et la réflexion plus loin, vers les hommes qui les produisent et les utilisent  ».




Les collections du musée : pillage ou histoire d’une rencontre ?


La provenance des objets

Désirer connaître la provenance des objets qui constituent ces collections est tout à fait légitime. On peut parfois regretter certains amalgames ; en effet, il arrive que des visiteurs du Musée Africain condamnent, à son propos, « le pillage du tiers-monde » sans connaître la provenance réelle des collections. Fidèles au vœu d’Augustin Planque, les pères ont rapporté, ou envoyé, ce que leur offraient les Africains, ou ce qu’eux-mêmes achetaient. Francis Aupiais, pour sa part, a commandé de nombreux objets pour les expositions et les tournées qu’il a effectuées en France au début du XXe siècle ; aujourd’hui, bien placés parmi les joyaux du musée, ils illustrent les années vingt.


Des écrits des missionnaires aux objets présentés

Plus que des notices scientifiques, les écrits des missionnaires sont les récits de leur vie quotidienne. En fait, si beaucoup ont écrit, très peu ont publié, sinon à une époque assez récente, mais la plupart ont noté les faits marquants de la vie quotidienne, jour après jour. Quel bonheur de pouvoir se pencher sur l’un ou l’autre de ces « journaliers » au hasard de passages dans les missions les plus anciennes. Ces petits cahiers d’écoliers sont de véritables archives pour un historien ; la relation des us et coutumes est écrite à la manière des ethnographes. Cette somme de documentation favorise le travail de la mission et est éditée dès janvier 1902 sous la forme d’un bulletin : L’Écho des Missions Africaines de Lyon.
Le récit de tous ces contacts permet aujourd’hui aux jeunes chercheurs d’informer scientifiquement les objets. Ce fut le cas pour l’exposition, maintenant itinérante, sur les poids akan. C’est actuellement la quête de Marie Perrier qui prépare une présentation de l’histoire des collections intitulée : « En terre inconnue, regards de missionnaires, Lyon 1800-1914  ». Cette exposition se tiendra au musée dès avril 2007 jusqu’à fin juillet ; elle pourra aussi être itinérante. Un autre travail de grande envergure est entrepris actuellement par Christelle Mazière pour présenter au dernier trimestre 2008 une série d’objets parlant des « Peuples Lagunaires » de Côte d’Ivoire. La parole donnée aux Africains contemporains procure l’honneur de présenter au second trimestre 2008 le sculpteur - forgeron, Bomavé Konaté, de Boromo à l’Ouest du Burkina Faso.

À propos de ce que représentent les objets présentés au musée, les remarques de Noël Baudin sma (1844 – 1887) sont précieuses. Il écrit à Augustin Planque :
« Dans les premières années de mon séjour à la côte des Esclaves, le grand féticheur étant mort, on avait mis hors de sa case tous ses fétiches […] je demandais aux Noirs pourquoi ils traitaient ainsi leurs dieux, ils m’affirmèrent que les dieux n’y étaient plus, alors toutes les statues et autres symboles des dieux, désormais inutiles, avaient été jetés hors de la case. »
Sur ce thème permettez-moi une anecdote tout à fait personnelle. J’effectuais mes premiers pas au Borgou, province nord-est du Dahomey, en septembre 1965. C’est en 1972 que se pérennisait une relation amicale avec un féticheur. Une nuit, ce monsieur m’invite à le rejoindre dans son arrière chambre ; il soulève sa paillasse, roule sa natte, déplace une trappe. De la cavité ainsi ouverte il extirpe des objets, supports de sa pratique. Sur le sol battu, il les dépose sans précaution aucune. Imaginez l’effroi de son épouse ! En effet, intriguée par le bruit inhabituel, elle accourt et ne peut s’empêcher de s’écrier : « Arrête, que fais-tu ? Sabi est un homme de Dieu ! » Et le mari de rétorquer : « Ne crains pas, ces objets n’ont plus de force, Jésus les a vus ! » Ce monsieur venait de décider de ne plus vivre de son métier de féticheur.
Un fait de ce type ne confirme-t-il pas l’appréciation de Noël Baudin ? Les objets, sortis de leur contexte, social, culturel, cultuel, sont totalement inefficaces. Pour répondre à la « hantise » de certains de nos contemporains, ils ne sont pas de ces « entités pleines de charges fastes ou néfastes » dont nous aurions à nous protéger. En créant ce musée, Augustin Planque voulait faire comprendre les peuples africains, dans le contexte et la mentalité de son époque, ce que nous continuons aujourd’hui avec d’autres instruments de compréhension et une autre mentalité.




Quelques « fondateurs » du musée de Lyon


Le 17 octobre 1861, le père Planque s’adresse au père Lafitte, qui vient d’arriver au Dahomey. Ce père Lafitte a montré, pendant son séjour au grand séminaire de Lyon, beaucoup d’intérêt pour ce qu’on appellera plus tard ‘‘les sciences humaines’’. Le père Planque lui écrit donc :
« Je vous rappelle toutes vos promesses de détails nombreux sur le Dahomey et sur l’envoi de curiosités du pays ; vous savez que toute chose, même la plus commune, provenant du Dahomey, est une curiosité pour nos musées. »
Le père Planque a eu la satisfaction de repérer parmi les aspirants missionnaires, des personnes sachant apprécier la culture africaine et comprenant la nécessité de communiquer.


La condition de la femme

Nombreux sont les objets qui, en exposition permanente au musée, disent la place de la femme dans la société africaine. Certains sont très évocateurs du respect conféré à la maternité. Fécondité et puissance participent, de pair, à la transmission et à la croissance de la vie dans l’équilibre harmonieux demandé par les ancêtres.
Ils témoignent du grand intérêt accordé par les pionniers de la SMA à la situation de la femme africaine. Pour s’occuper des femmes et des jeunes filles, écrivent ces hommes de terrain, il faut des religieuses. Augustin Planque va déployer toute son énergie pour répondre à leur attente. C’est le 28 janvier 1868 que s’embarquent les trois premières religieuses qui rejoignent la mission du père Philibert Courdioux (1838 – 1898). Leur congrégation est basée à Lyon, ce sont les franciscaines de Couzon.


L’esclavage

Au musée, une vitrine, volontairement sobre, évoque le caractère odieux de la réalité historique de l’esclavage. Les missionnaires s’y sont attaqués, déployant une énergie inimaginable ; les écrits de l’un ou de l’autre relatent comment il s’embusquait pour détourner les colonnes d’esclaves qui étaient amenées vers les bateaux. Pourtant l’abolition de l’esclavage avait, enfin, été décrétée en 1848…

Les ancêtres, les sacrifices humains

En Afrique, un élément vital est le lien permanent avec les ancêtres ; il est mis en évidence grâce aux « autels des ancêtres » ou asen, toujours en pays Fon. L’influence incontournable reconnue aux jumeaux dans les sociétés africaines, bénéficie aussi de belles illustrations empruntées aux peuples du sud du Bénin. Plusieurs vitrines, au troisième étage, introduisent à une conception traditionnelle, celle du Fa, au pays Fon du sud du Bénin. Il s’agit de la divination.
Rapportée au Musée par Francis Aupiais, autre géant de la mission, une statuette de terre cuite représente un ministre du Vodũ tenant entre les mains une tête humaine. Bien des missionnaires se sont heurtés à la réalité des sacrifices humains lors des « coutumes ». Leur manière de voir, appuyée sur la morale chrétienne, les a amenés à lutter efficacement contre ce genre de coutumes. Depuis le sacrifice d’Isaac, Juifs, Chrétiens et Musulmans savent que le sang humain ne doit pas couler, même comme offrande à l’Être Suprême. Qui oserait le déplorer ?
Mais par bien des côtés, les traditions des peuples africains transmettent des us et coutumes qui peuvent en remontrer par leur sagesse. C’est ainsi que, toujours au Musée Africain, peut être admiré un trône royal dont les quatre pieds sculptés représentent deux couples symbolisant la transmission de la vie : le roi veille ainsi à ce que fécondité et puissance soient en harmonie avec la vie que les ancêtres lèguent aux vivants .


Avec Francis Aupiais, Jacques Bertho

Pour couronner ce panorama, c’est avec un autre personnage hors pair, Francis Aupiais, que nous visitons le Dahomey. Inlassable sur les routes d’Afrique pour collectionner les objets et analyser les cultures, F. Aupiais fut tout aussi énergique sur les routes d’Europe pour dire l’Afrique avec compétence et amour.
Le musée est riche des œuvres commandées par Aupiais aux Africains, qui eurent un réel succès aux différentes expositions qu’il organisa pour « la réhabilitation dans l’opinion des sociétés noires ». Une première présentation en 1927 à Paris qui devient itinérante ; puis en juin 1931 il participe à l’organisation de l’Exposition coloniale internationale. L’œuvre de Francis Aupiais eut un tel rayonnement en France qu’il s’attacha la sympathie d’un mécène de renom, Albert Khan dont le musée parisien garde des liens privilégiés avec les Missions Africaines.
Pour clore ce tour d’horizon du partage fraternel mentionnons la documentation photographique léguée au Musée Africain par le père Jacques Bertho sma (1903 – 1990). Ses superbes prises de vue, en noir et blanc, mettent en évidence le message des vitrines. Et, puisque nous en sommes à la scénographie, admirons la mise en action suscitée par les petits laitons qui, jouxtant les objets exposés, permet l’économie de biens des commentaires techniques.



Une ambition pour aujourd’hui : dire l’Afrique autrement

La SMA se sait investie de la mission de partager ce patrimoine africain et lyonnais. Pour beaucoup d’occidentaux l’histoire de l’art est la lucarne la plus accessible. Ce qu’ils entrevoient peut — pour qui le désire — amener à la rencontre de cultures et de cultes porteurs de valeurs, et de contre-valeurs. Les accueillir objectivement, sans préjugé aucun, en brisant les clichés, ne serait-ce pas une occasion d’enrichissement ? La fréquentation des expositions organisées par le musée ne pourrait-elle pas susciter une rencontre bilatérale, une prise de conscience de ce que notre histoire commune avec le continent africain nous invite à construire maintenant ?
Afin de répondre au mieux à toutes ces questions la Société des Missions Africaines a mis en place, en 1990, une association loi de 1901 pour gérer le musée. « Cette association a pour but le soutien de l’action du musée africain de Lyon pour la promotion de l’art et de la culture des peuples de l’Afrique Noire, et toute action se rapportant à cet objet, notamment sa gestion permanente. » (article 2 : objet). À ce jour, ce sont près de cinquante adhérents qui participent, chacun à sa manière et selon ses compétences, à la vie du musée, apportant sa quote-part à l’activité d’une des quatre commissions : communication, pédagogie, événements, conservation. Un comité scientifique reste vigilant pour l’ensemble des activités.
Les visiteurs peuvent sur rendez-vous bénéficier de visites guidées. Autour de 10 000 passages annuels se répartissent entre enfants en découverte scolaire, jeunes (surtout avec un projet thématique ou au niveau de l’histoire de l’art) et adultes, seuls ou en groupes guidés. Il faut aussi mentionner les événements « portes ouvertes » qui attirent le tiers de nos visiteurs par leur gratuité : pour les Journées d’Amitiés de la SMA, les Journées du Patrimoine, la Nuit des Musées.
Le contact avec les universitaires et les grandes écoles est l’occasion, pour le directeur, de donner des causeries dans le domaine de l’anthropologie africaine, ce qui entraîne la participation de nombreux jeunes à des stages au sein du musée. Si ces étudiants amènent aussi de nombreux visiteurs parmi leurs amis, certains fidélisent leur participation à la vie du musée en devenant membres de l’Association de gestion ; c’est une arrivée de nouvelles et jeunes compétences dont on ne peut que se réjouir.
Pour conclure, signalons la possibilité donnée aux chercheurs et lecteurs d’utiliser le fonds de bibliothèque spécialisé sur l’Afrique.


Michel Bonemaison sma
Ancien Directeur du Musée Africain

. Sur Marion Brésillac, voir dans ce dossier : Pierre TRICHET, « Bibliographie de la Société des Missions Africaine ». En particulier, pour sa rencontre avec l’Inde : MARION BRÉSILLAC, Souvenirs de douze ans de mission, Paris, Médiaspaul, 1987 (2 tomes).
. Cité par Claude-Marie ÉCHALLIER, L’audace et la foi d’un apôtre, Augustin Planque (1826-1907) Missionnaire pour l’Afrique, Paris, Karthala, 1995, p. 58, note 6 : « Mon œuvre survivra tant qu’il y aura une volonté pour la maintenir et vous serez cette volonté-là. » Pour une vue d’ensemble sur le père Planque, voir l’article de ce dossier qui lui est consacré.
. Pour comprendre le contexte lyonnais et la dimension missionnaire de la ville, voir : Yannick ESSERTEL, L’aventure missionnaire lyonnaise 1815 – 1962, Paris, 2001, 427 p. (Cerf/Histoire, Terres de mission) ; Jean ETÉVENAUX, Histoire des missions chrétiennes, Saint-Maurice, Éditions Saint-Augustin, 2004, 293 p. La SMA est citée page 143 n° 20 et 25 et pages 146 – 148.
. Christiane ROUSSÉ-GROSSEAU, Mission catholique et choc des modèles culturels en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1992, 390 p. (Collection “Racines du présent”).
. À nouveau je souligne le terme employé qui est « musée ».
. Il paraît intéressant de noter que cette démarche s’inscrit tout à fait dans la dynamique française de l’époque. Voici déjà soixante ans que Napoléon créait « la première administration des Musées » ; en 1815 le décret portait pour fruits l’existence de trente musées municipaux. Voir Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d’Alain REY, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992. article “Musée”, t. II, col. 1294.
. Voir le catalogue du musée : Alain DERBIER sma, Le Musée Africain, Art et Culture de l’Afrique, Réédition augmentée 2003 (32 p.), p. 3.
. Recueil, périodique des lettres des missionnaires de la société des missions africaines de Lyon. N° 1 janvier février 1902, Papeterie générale, Imp. Eug. Mercier, rue Hôtel-de-Ville, 94, Lyon. Aujourd’hui, la parution trimestrielle porte le nom de L’Appel de l’Afrique (réalisation technique Service Édition Centre-Alpes).
. Michel BONEMAISON (dir.), Les poids à peser la poudre d’or de l’aire culturelle Akan, Collection fonds Alexis Chermette, Lyon/Le Musée Africain, Éditions La Licorne, 32 p., 10 €.

. Pierre Méraud, né à Limoges le 22 mai 1872, passera toute sa vie de mission en Côte d’Ivoire et y mourra le 20 octobre 1958. Par le don qu’il fit à Augustin Planque, à la fin du XIXe siècle, pour le Musée Africain, il nous vaut le bonheur de pouvoir présenter deux « Colonnes de Temple Ebrié » à l’exposition Lyon 1800 - 1914.
. Noël BAUDIN, « Féticheurs ou ministres religieux des Nègres de la Guinée », Les Missions catholiques, N° 788, 11 juillet 1884, p. 331. Cité aussi dans : Jacques KERCHACHE, Jean-Louis PAUDRAT, Lucien STEPHAN L’Art africain, Paris, Éditions Mazenod, 1988, p. 493.
. Il rédige deux ouvrages : Le Dahomé. Souvenirs de voyage et de mission, Tours, Mame, 4e édition 1876, 239 p. ; Le pays des Nègres et de la Côte des Esclaves, Tours, Mame, 1881, 238 p.
. Archives de la SMA, Rome.
. Citation tirée d’un inédit de Pierre Trichet, 2006. Je suis redevable à l’archiviste de la maison généralice, le père Pierre Trichet de la SMA, pour les références qu’il m’a procurées.
. Michel BONEMAISON, « La femme en Afrique », L’appel de l’Afrique, mars 2008.
. Claude-Marie ÉCHALLIER, L’audace et la foi d’un apôtre, Augustin Planque 1826-1907, Missionnaire pour l’Afrique, Paris, Karthala, 1995, p. 163 ss. Bernadette TRUCHET, « De la difficulté de partir en mission : les Franciscaines de la Propagation de la Foi : 1840-1875 » dans : Femmes en mission, sous la direction de Marie-Thérèse de MALEISSYE, fmm. Actes de la XIe session du CREDIC à Saint-Flour (août 1990). Lyon, Université Jean Moulin, 1991, p. 99-104.
. Patrick GANTLY sma, Mission en Afrique de l’Ouest. L’histoire de la Société des Missions Africaines (sma), 1856 – 1907, Tome I, Roma, SMA 2006, p. 84.
. Livre de la Genèse, chapitre 22.
. Michel BONEMAISON sma, « Dossier Justice et paix », L’appel de l’Afrique, n° 225, juin 2006, p. 23.
. Voir la contribution déjà signalée de Martine Balard.
. Voir : Pour la reconnaissance africaine. Dahomey 1930. Des images au service d’une idée : Albert Kahn (1860-1940) et le père Aupiais (1877-1945), Boulogne-Billancourt, Musée Albert Kahn, 1996, 259 p.
. On se doit enfin de mentionner le Père Jean-Marie Chabert (1874 – 1933) ; c’est lui qui en 1923, pendant son mandat de supérieur général, a conçu l’espace du Musée dans le bâtiment actuel. Ensuite, c’est à l’interpellation du Père René Faurite (1941 – 2002) que nous devons l’effort de modernisation qui a abouti à la muséographie qui nous est offerte. J’espère, moi-même, au Musée Africain, rester dans la dynamique de mes prédécesseurs, ces “géants” de la rencontre avec l’Afrique.